Explosions au Liban : « Tout le monde pense que c’est Israël, mais il n’y a aucune preuve », note un ancien espionSportuneBébés et MamansMinutes Maison
Ancien membre du service action (Direction générale de la Sécurité extérieure) pour lequel il a travaillé de 1983 à 2001, Pierre Martinet explique à 20 Minutes pourquoi , comme les autres services du monde, ne revendique pas ses actions et revient sur et ayant visé des membres présumés du au .
Pourquoi Israël ne revendique-t-il pas les explosions de bipeurs ciblant des membres présumés du Hezbollah ?
Aucun service de renseignements au monde ne revendique ses actions « homicides » ou « arma » pour ce qui de la destruction de matériel ou de bâtiment.
Quel intérêt alors que tout le monde se doute et que ça se voit comme l’éléphant au milieu de la pièce ?
Et bien parce que c’est illégal et les services secrets du monde entier ne font que des actions illégales. Tuer des gens, c’est illégal. Quand la France le fait en Afrique, c’est pareil.
Mais ils sont dans un contexte de guerre ? Quelle nécessité de cacher les actions ? Lorsque l’Ukraine élimine des commandants russes, le pays le revendique, non ?
Je crois que vous confondez deux choses : Une opération spéciale et une opération clandestine. Une opération spéciale, , là c’est l’armée qui le fait. Une opération clandestine, ce sont des gens qui n’agissent pas à identité réelle, à visage découvert et donc on ne peut pas revendiquer.
L’intérêt est-il, en termes de communication, de se préserver d’accusations de la communauté internationale ? Alors qu’à l’inverse une « communication positive » pourrait être faite en disant on est capable de frapper n’importe qui n’importe où.
Se protéger des accusations, oui. Israël n’est pas en guerre avec le Liban. Comme il y a quelques années un membre du Hamas a été éliminé dans un hôtel de Dubaï : Israël, si tant est que ce soit eux – ils n’ont jamais revendiqué – n’est pas en guerre avec les Émirats arabes unis. C’est la même chose. Et pour le reste, il n’y a pas besoin de communiquer. Le Hezbollah a reçu un message fort et clair. Actuellement ses membres qui sont au Liban doivent être plus que méfiants et font dans leur froc.
N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie ? Car tout le monde voit qui sont les auteurs, quel est l’Etat derrière.
Oui, tout le monde le pense, mais il n’y a aucune preuve. Qui vous dit que ce n’est pas la CIA. Je n’écarte pas cette hypothèse. C’est un allié. Ils travaillent ensemble.
Est-ce une action qui va marquer les annales des services secrets ?
Oui. Et ce qui intéressant dans cette histoire ce sont les renseignements qui ont été récoltés par l’équipe en amont. Deux possibilités : soit dans les proches décideurs du Hezbollah il y a des agents infiltrés, on va dire du Mossad, ou bien ils ont retourné quelqu’un de proche ; soit lorsque le Hezbollah a décidé de lâcher les téléphones trop dangereux, trop géolocalisables, et qu’ils ont décidé de prendre des bipeurs, cette information est parvenue à un agent infiltré.
A partir de là, ils se sont dit : on va les taper. Comment ? En piégeant les bipeurs. Et comment les piéger ? De deux façons : soit l’usine de production travaille pour le Mossad, soit elle est infiltrée par des agents qui ont introduit de l’explosif dans les bipeurs – car je pense qu’il y avait des micro-explosifs introduits dans les bipeurs et que cet explosif a été fabriqué par un service technique qui sait produire des explosifs indétectables et intraçables, ce qui est aussi c’est la signature d’un service secret. Autre possibilité : ils ont été interceptés pendant la livraison et piégés.
Cela signifie une énorme organisation…
Et énormément de personnes qui travaillent directement ou indirectement pour le service secret en question. Piéger 5.000 bipeurs, cela implique de les ouvrir, de les refermer, d’introduire des explosifs et que ça fonctionne et sans laisser aucune trace, ni sur les bipeurs ni ailleurs. C’est ça qui est impressionnant.
Il ne s’agissait pas juste de tuer pour tuer. Un bipeur, on ne peut pas le charger en explosif pour tuer à 100 %, ça peut blesser, mutiler. Mais l’impact psychologique est énorme.
N’est-ce pas l’opération la plus réussie de ces dix ou vingt derrières années ?
Je pense que c’est l’opération homicide de la plus grande envergure jamais réalisée. Ils ont été capables de toucher instantanément 500 cibles d’un coup. C’est énorme.
Le Mossad a déjà éliminé plusieurs personnes d’un coup, récemment encore avec l’immeuble touché par un missile, un drone, au Liban. dont l’entourage a dû être infiltré par un agent du Mossad qui lui a remis le téléphone.
Est-ce qu’on peut dire qu’actuellement le Mossad est le meilleur service secret du monde ?
Non. Parce que la DGSE est aussi bon que le Mossad, par ce que CIA est aussi bon que le Mossad, que les services secrets russes, anglais et allemands sont aussi bons que le Mossad. La grande différence est qu’ils sont dans le réel en permanence et en guerre depuis toujours.
Ce qui change aussi est la volonté politique : Israël a celle d’éliminer ses ennemis. Le 7 octobre, qui a été une énorme faille des services secrets, il y a eu 42 Français qui ont été tués. Franco-israéliens, mais ils sont Français. Ça fait depuis 1982 que je suis dans ce business-là, c’est la première fois qu’il n’y a pas eu de représailles.
Ou alors on n’est pas au courant ?
On l’aurait été. Il y aurait eu des fuites et ça se serait su sans qu’ils s’en vantent.