Ukraine : La religion orthodoxe interdite par le gouvernement ? Pourquoi cette affirmation est trompeuseSportuneBébés et MamansMinutes Maison

«Aujourd’hui, a interdit l’Eglise en Ukraine […] Dieu a été expulsé de l’Ukraine », « L’Ukraine a interdit le christianisme. Le régime de Zelensky vient d’adopter une loi interdisant l’Eglise orthodoxe ukrainienne ». Depuis quelques jours, de nombreux comptes relaient ce type d’informations dans des publications virales sur les réseaux sociaux. A les croire, le gouvernement aurait en effet interdit la religion orthodoxe, via le vote d’une loi au Parlement.

Qu’en est-il vraiment ? Le pouvoir ukrainien a-t-il restreint la liberté de culte dans le pays ? 20 Minutes fait le point.

Que s’est-il passé ?

Mardi 20 août, le Parlement ukrainien a adopté la loi « sur la protection de l’ordre constitutionnel dans le domaine des activités des organisations religieuses ». Cette loi vise à combattre l’influence russe dans le domaine religieux, et vise en creux l’Eglise orthodoxe ukrainienne, affiliée au patriarcat de Moscou (EOU-PM), c’est-à-dire qui est rattachée à l’Eglise orthodoxe russe.

« Aujourd’hui, l’Église orthodoxe russe est un instrument de l’influence et de la propagande russes », affime la. La loi offre un arsenal législatif pour agir contre les organisations religieuses « dont le centre de direction est situé en dehors de l’Ukraine, dans un État qui mène une agression armée contre l’Ukraine ». Il faut encore que le président Volodymyr Zelensky promulgue la loi pour qu’elle soit appliquée.

Cette Eglise représente-t-elle à elle seule la religion orthodoxe en Ukraine ?

« De manière générale dans la religion chrétienne orthodoxe, la règle est que chaque pays ait une église autonome, c’est-à-dire autocéphale, informe Jean Benoît Poulle, chercheur en histoire, spécialiste de l’actualité religieuse pour la revue Le Grand Continent. L’Ukraine représente un cas particulier, car pendant longtemps il n’y a pas eu d’église orthodoxe autonome, mais l’Église orthodoxe ukrainienne, qui a pour cheffe l’Église orthodoxe russe. »

C’est en 2018 que plusieurs autres Eglises orthodoxes ukrainiennes ont fusionnées pour se substituer à celle liée au patriarcat de Moscou. Cette nouvelle organisation religieuse porte le nom très similaire d’Eglise orthodoxe d’Ukraine. Enfin, il existe également l’Eglise orthodoxe ukrainienne mais rattachée au patriarcat de Kiev, distincte donc de l’EOU-PM, mais également de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, avec qui elle a refusé l’unification en 2019. Il existe de fait plusieurs Eglises orthodoxes en Ukraine. Seule une est visée par cette loi.

Quel est le lien entre l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou et le pouvoir russe ?

« Il y a un lien hiérarchique visible qui contribue à réduire l’indépendance de l’Ukraine, qui demeure liée à la Russie par la subordination de son église nationale au patriarcat de Moscou », explique Jean Benoît Poulle. Si ce lien est aussi problématique pour le gouvernement ukrainien, c’est que le patriarcat de Moscou est considéré comme un allié direct du régime russe.

« Légalement, la Constitution russe instaure la séparation des Églises et de l’Etat, mais en réalité le lien est très fort. Le patriarcat s’est positionné en soutien de l’invasion russe en Ukraine et a notamment déclaré que les soldats qui mouraient pour leur patrie allaient directement au paradis », rappelle Renaud Rochette, docteur en histoire, spécialiste des religions et du monde orthodoxe.

Quelle est l’influence du patriarcat russe en Ukraine ?

La proximité entre l’institution religieuse et le Kremlin s’illustre concrètement en Ukraine à travers plusieurs affaires de soupçons d’espionnage et de soutien à l’invasion russe par des religieux. Bien que l’Eglise ait officiellement rompu ses liens avec le patriarcat de Moscou en mai 2022, et que son principal chef en Ukraine métropolite Onuphre ait condamné l’invasion, les autorités ukrainiennes ne sont pas convaincues.

« En dernier ressort, c’est toujours le patriarche de Moscou qui a la main sur les nominations, et les hauts membres de cette église ukrainienne font partie des instances dirigeantes de l’église russe. L’argument de l’Etat ukrainien est de dire que c’est plus un faux-semblant lié aux circonstances qu’une réalité », analyse Renaud Rochette.

Le fait de contrôler des paroisses en Ukraine représente aussi un intérêt financier direct. « C’est l’assise matérielle du pouvoir », appuie Jean Benoît Poulle : « 40 % des paroisses du patriarcat de Moscou sont en Ukraine. Les donateurs ukrainiens sont aussi une source de revenus pour le patriarcat de Moscou. »

Quelle popularité auprès de la population ?

Autrefois la plus populaire du pays, l’Eglise orthodoxe ukrainienne a fortement perdu en fidèles depuis le début de la guerre. En 2023, une établissait que 83 % des Ukrainiens estimaient que « l’État devrait intervenir à un degré ou à un autre dans les activités de l’Église orthodoxe ukrainienne » et qu’ils étaient 63 % « à penser que cette Église devrait être totalement interdite en Ukraine ».

« Des paroisses entières ont changé d’affiliation, développe Renaud Rochette. Mais il y a quand même un quart de la population ukrainienne qui ne se rattache pas à une de ces églises. Dans les faits, il y a une fluidité dans la pratique ». « A l’Est, certaines populations sont très attachées à leur église orthodoxe, mais ne perçoivent pas forcément le lien avec le patriarcat de Moscou », détaille Jean Benoît Poulle, qui note également que l’EOU-PM joue sur un flou pour cacher son affiliation. « Pour certains fidèles, c’est l’église de leurs ancêtres, surtout dans l’est du pays. Ce sont des problèmes à prendre avec délicatesse, sans cela ça sera exploité par la propagande russe. »

Pour le pouvoir russe, un argument politique important

En réaction au vote du Parlement, la porte-parole russe Maria Zakharova a affirmé qu’il visait à « détruire l’orthodoxie canonique et véritable et d’apporter à sa place un substitut, une fausse Eglise ».

Comme le soulignent les deux experts, la religion est un enjeu important pour le pouvoir russe dans le cadre de la guerre en Ukraine. En plus d’être un outil de soft power, elle est un argument puisant dans le narratif politique. « Dès 2014, quand l’armée ukrainienne commence les opérations de reconquête du Donbass, le patriarche Kirill de Moscou explique que c’est une opération menée par les ennemis de l’orthodoxie pour combattre les vrais chrétiens, ce qui va notamment légitimer l’intervention de l’armée russe », expose Renaud Rochette.

Un constat partagé par Jean Benoît Poulle, pour qui cette loi illustre l’enjeu pour les Ukrainiens de « défaire la théorie poutinienne du monde Russe selon laquelle les Ukrainiens, les Russes et les biélorusses sont liés et partagent la même histoire. C’est lié à la volonté des Ukrainiens d’être indépendants et de couper le lien avec la Russie. »

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