Guerre en Ukraine : « Les TikTok warriors » de Kadyrov « montrent la Russie comme puissance impériale, coloniale »SportuneBébés et MamansMinutes Maison
Une visite dans le Caucase, en Ossétie du Nord puis en , où n’avait pas mis les pieds depuis près de quinze ans après y avoir mené deux guerres dans les années 1990 contre des indépendantistes.
Une tournée aussi politique que militaire pour Vladimir Poutine, de plus en plus embourbée dans sa , qu’analyse pour 20 Minutes la chercheuse Johanna Möhring, chercheuse associée au Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques et spécialiste de la Russie.
Comment comprendre le déplacement du président Russe en Tchétchénie ?
Ce déplacement intervient sur toile de fond de l’incursion des forces armées ukrainiennes sur le territoire russe qui perdure maintenant depuis trois semaines. Cette visite a pour but à la fois de souligner l’unité nationale, et l’effort collectif des entités de la Fédération russe à se battre contre des ennemis multiples. L’image d’une Russie attaquée de tout bord donne sens à la visite en amont de Vladimir Poutine à Beslan, en Ossétie du Nord dans le Caucase, où a lieu il y a presque vingt ans une prise d’otages dans une école attribuée à des terroristes islamistes.
L’intervention des forces spéciales russes s’était conclue dans le sang, avec plus de 330 morts dont 186 enfants. Poutine a visité pour la première fois le site du massacre, et a pu parler avec des mères dont des enfants sont morts dans cette opération bâclée. Sur place, il a dit : « La Russie a vaincu des terroristes dans le Caucase, et elle vaincra les néonazis qui commettent des crimes dans la région du Donbas et Koursk ». Il s’agit alors pour le Kremlin de continuer à tisser le narratif d’attaques terroristes sur la Russie, tout en rappelant le combat russe contre les « fascistes » en Ukraine, derrière qui se cacherait « l’Occident collectif ».
La visite en Tchétchénie de Vladimir Poutine intervient également à un moment où il y a eu des rumeurs sur l’état de santé de Ramzan Kadyrov. A cela s’ajoute le fait que Poutine a rencontré des fils de Kadyrov en 2023 et 2024.
Une sorte de passation de pouvoir alors ?
C’est difficile de dire, mais cela montre surtout que la Russie est bel et bien une puissance impériale, coloniale, qui entretient des relations complexes avec ses différents sujets de la Fédération.
Il y a aussi une dimension militaire, où les soldats tchétchènes peuvent être perçus comme puissants et féroces…
La Tchétchénie mène surtout une campagne médiatique pour renforcer une image de guerriers tchétchènes jugés féroces et efficaces qui soutiennent fidèlement le Kremlin. Mais ce qui ressort des expériences sur le champ de bataille et des récits des soldats ukrainiens qui se trouvent face à ces unités, c’est que cette efficacité est limitée. Donc on a à la fois une propagande Russe et Tchétchène qui met en valeur des valeureux guerriers. Et en vérité, très probablement, ces mêmes soldats ne semblent pas avoir un enthousiasme énorme à aller se battre pour la patrie.
Ceci met en lumière le fait que l’armée russe est l’armée coloniale d’une Russie mutli-ethnique et multireligieuse, où combattent des soldats de différents sujets de la Fédération, avec des soldats qui viennent de régions marginalisées économiquement et socialement.
Poutine doit gérer à la fois une guerre et un empire, avec des alliés compliqués comme Kadyrov. Celui-ci à une certaine marge de manœuvre, en contrepartie de son rôle de « pacificateur » brutal de la Tchétchénie luttant contre une résurgence du terrorisme islamiste dans la région. Mais on le voit, dernièrement avec les incursions au Dagestan qu’une activité islamiste est bel est bien d’actualité.
Et donc quand la Tchétchénie et la Russie mettent en scène leurs combattants, cette propagande, sorte de « guerre psychologique » est d’abord à destination des Occidentaux plus des Ukrainiens ?
Je ne pense pas que ce soit pertinent du point de vue occidental. Ni d’ailleurs que cet imaginaire soit très efficace par rapport aux Ukrainiens. Ils ont pu les voir en action sur les champs de bataille et ce n’est pas pour rien qu’ils les appellent les « TikTok warriors », étant donné la prédilection des Tchétchènes pour les « selfies ».
C’est différent de la mise en scène de cruautés extrêmes des soldats de Wagner dans le passé, où là il s’agissait vraiment d’une propagande par la terreur. Et elle était plutôt efficace sur différents publics. Mais je ne crois pas que les troupes de Kadyrov percent dans ce registre. Il faudrait aussi mentionner que des Tchétchènes opposés à Kadyrov se battent du côté ukrainien.
Cette propagande et ce déplacement de Vladimir Poutine chez Kadyrov sont surtout une communication interne ?
Oui je pense, il s’agit surtout de montrer qu’il y a une unité, des objectifs en commun et partagés dans tous les sujets de la Fédération de la Russie.
Aussi, s’il y a vraiment 9.000 soldats tchétchènes engagés, c’est très peu. Ce n’est pas une force capable de tourner d’une façon décisive des batailles ou des engagements. Ça démontre encore plus qu’on est plus dans un affichage d’unité.
Alors au début de la guerre, Poutine a utilisé les troupes de Wagner comme une image de soldats de choc. Avec la disgrâce et la quasi-tentative de coup d’Etat menée contre Poutine par les hommes d’Evgueni Prigojine, mort depuis dans un crash d’avion, le président Russe ne cherche-t-il pas une nouvelle troupe de choc à médiatiser ?
Non, c’est plutôt l’image d’unité de la Russie, capable de mobiliser des troupes dans toutes ses régions qui est en jeu. Surtout dans un moment d’engagement de la guerre dans la durée.
Cela illustre l’aspect d’une armée russe comme d’une force impériale et coloniale. Sa diversité ethnique et religieuse pourrait s’avérer d’ailleurs un facteur de tension avec une vision de la Russie trop focalisée sur le « russe ». Poutine a besoin d’afficher à la maison un front uni, qu’il est capable de mobiliser des troupes, en plus d’alimenter le récit d’une Russie sans cesse attaquée, hier par les islamistes dans le Caucase, aujourd’hui par les Ukrainiens.