Election américaine 2024 : En Pennsylvanie, Harris « obligée d’avaler la couleuvre » du gaz de schisteSportuneBébés et MamansMinutes Maison

Sur les pelouses des banlieues pavillonnaires de Pennsylvanie, les pancartes en faveur de et de se côtoient. Ici, dans le berceau de la démocratie américaine, les indécis sont nombreux. L’Etat, terre de , première capitale américaine et où la déclaration d’indépendance et la Constitution du pays ont été signées, attire tous les regards. Car la Pennsylvanie est un « swing state » et, avec ses 19 grands électeurs, probablement le plus important d’entre tous…

En 2016, Donald Trump était parvenu à séduire cet Etat en proclamant son amour du forage. Historiquement , la Pennsylvanie est alors tombée dans les bras du magnat de l’immobilier, séduite par ce soutien décomplexé au « fracking », une méthode d’extraction des hydrocarbures particulièrement contestée. Huit ans plus tard, le mot d’ordre du candidat à la reste le même sur les terres du gaz de schiste : ).

Plus de gaz naturel que le Qatar

Le fracking consiste à fracturer la roche avec un liquide sous très haute pression pour extraire du gaz ou du pétrole, au risque de polluer les eaux et d’émettre de grandes quantités de méthane, un gaz plus de 80 fois plus réchauffant pour l’atmosphère terrestre que le CO2. « Dans de nombreux pays du monde, contrairement aux Etats-Unis, le fracking est interdit parce que cette méthode d’extraction d’hydrocarbures est extrêmement polluante, bien plus que l’extraction conventionnelle », explique Yves Cochet, cofondateur des Verts et auteur de Pétrole apocalypse (Ed. Fayard, 2005). C’est le cas en France, qui a banni cette pratique dès 2011.

Malgré sa mauvaise presse, l’extraction de gaz, notamment de schiste, est massive en Pennsylvanie. Entre 2007, année de son développement, et 2023, plus de 14.000 puits non conventionnels * ont été creusés dans l’Etat,, qui surveille les données liées à l’industrie pétrolière et gazière. En 2022, l’Etat de naissance de Joe Biden a produit plus de gaz naturel que le , sachant que les Etats-Unis sont aujourd’hui le premier producteur mondial.

Au cœur de la ruée vers l’or noir

Cette manne financière est importante pour un Etat , d’après l’ Feeding America. La Pennsylvanie est en effet au cœur de la « rust bell », la ceinture de la rouille, où la désindustrialisation a plongé des milliers de personnes dans la pauvreté. Sans surprise, « à ses débuts, en 2008, le fracking a promis de soutenir les zones rurales de l’Etat qui souffraient d’un manque d’opportunités économiques. Et effectivement, il a créé des emplois et attiré des investissements dans la région », explique Murray Fallk, doctorant de l’université de Cambridge et auteur de la thèse Population change and fracking : An examination of Pennsylvania and New York.

« La Pennsylvanie a une longue tradition d’extraction. C’est un très vieil Etat avec une tradition industrielle et pétrolière », rappelle Yves Cochet. Pour bien comprendre l’intrication entre la capitale du Philly steak et le pétrole, il faut revenir en 1859, à Titusville. C’est dans cette petite ville du nord-ouest de l’Etat, où les scieries dévoraient continuellement du bois au milieu du XIXe siècle, qu’un homme a changé la face de la Pennsylvanie, puis celle du monde entier. Le colonel Drake parvient à forer le premier véritable puits de pétrole américain, provoquant une ruée vers l’or noir.

De l’eau du robinet… inflammable

Inspirés par cette légende - qui a pourtant laissé Edwin Drake sans le sou, car il avait oublié de breveter son système de forage –, les Américains sont nombreux à se tourner vers l’extraction dans l’espoir de s’enrichir. « Aux Etats-Unis, vous êtes propriétaire du sous-sol de votre bien jusqu’au centre de la Terre ! Vous pouvez donc décider de forer les ressources du sous-sol dans votre propre jardin », explique Yves Cochet. De quoi attirer les convoitises, mais aussi entraîner quelques tensions de voisinage.

Si « l’industrie et ses partisans assurent qu’il s’agit d’un processus sûr, j’ai pu constater les effets néfastes du fracking lorsqu’il est mal effectué », témoigne Murray Fallk. Il cite notamment le cas des habitants de Dimock, une petite ville du nord-est de l’Etat, « où certains n’ont pas d’eau potable depuis des décennies » à cause de la pollution. « Les habitants de la région rapportent fréquemment des effets sur leur santé comme des saignements de nez, des éruptions cutanées ou des problèmes respiratoires », ajoute-t-il.

Régulièrement, des images d’habitants, proches de ces forages, ressurgissent. Par facilité ou par économie, « certains exploitants ne rebouchent pas les puits, entraînant des fuites incontrôlées de et de », explique Yves Cochet. Et d’ajouter que le risque que ces puits soient abandonnés est multiplié dans le cas du fracking car « si les puits conventionnels durent vingt, trente, voire quarante ans, les puits non conventionnels, eux, ne durent que quelques années ». D’après le Département de la protection de l’environnement de Pennsylvanie, une violation sur dix enregistrées entre 2007 et 2023 concernait, en effet, le non-bouchage d’un puits abandonné.

Avaler la couleur du gaz et du pétrole

Les habitants de Pennsylvanie sont divisés sur la question du fracking. Selon un sondage conduit en 2022, 48 % d’entre eux se disent favorables à cette méthode d’extraction et 44 % s’y opposent. Kamala Harris, alors en lice pour la primaire démocrate, souhaitait interdire le fracking en 2020. Mais elle est depuis largement revenue sur cette proposition. Elle répète désormais à l’envi son soutien du fracking, vantant la « plus forte augmentation de la production nationale de pétrole de l’histoire » du pays sous le mandat de Joe Biden. « C’est complètement électoraliste, réagit Yves Cochet. Si elle ne veut pas perdre la Pennsylvanie, Kamala Harris est obligée d’avaler la couleuvre du gaz et du pétrole de roche-mère, parce qu’il y a trop de gens qui en dépendent dans cet État. »

« Je pense que Donald Trump et Kamala Harris redoutent le fait que n’importe quel enjeu puisse être décisif en Pennsylvanie, tant la course est serrée. Et ils semblent tous deux considérer que l’électorat de Pennsylvanie soutient cette industrie », glisse Murray Fallk. En 2020, avait remporté son Etat natal avec 50,01 % des voix. Une marge largement insuffisante pour oser s’en prendre à une industrie qui fait vivre un demi-million de personnes en .

* Au contraire du forage, qui n’utilise la méthode du fracking