Election américaine 2024 : « Vice-présidente de merde », « raclure »… Jusqu’où les candidats en campagne peuvent-ils aller ?SportuneBébés et MamansMinutes Maison
, « paresseuse », « raclure » ou encore « faible QI »… Chaque jour, trouve de nouveaux qualificatifs injuriants pour décrire son opposante dans la course à la , . La démocrate a répondu que « l’ancien président avili [ssai] t vraiment la fonction présidentielle ». Difficile d’imaginer de telles passes d’armes dans l’Hexagone du « vous n’avez pas le monopole du cœur », petite phrase iconique de Valéry Giscard d’Estaing à .
En février 2008, , alors président, avait provoqué la polémique en répondant « casse toi, pauv' con » à un homme qui refusait de lui serrer la main au Salon de l’agriculture. Mais l’ancien président ne s’adressait pas à un adversaire politique et a lui-même estimé en 2016 avoir « abaissé la fonction présidentielle » dans son livre La France pour la vie. Chez nous, les sorties de Donald Trump semblent donc inimaginables. Et beaucoup seraient répréhensibles par la loi.
Le premier des amendements
Mais, outre-Atlantique, il existe une « culture américaine de la , voire une sacralisation, qui conduit à tolérer les discours incendiaires », explique Kamel El Hilali, docteur en droit public à l’université Paris-II Panthéon-Assas. De nombreux Américains considèrent la liberté d’expression comme l’un des fondements de leur pays. C’est d’ailleurs le premier amendement de la des , devant le .
Adopté par le Congrès en 1791, il stipule : « le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. » Cet amendement, conçu pour « protéger les individus contre l’Etat et les lois arbitraires du gouvernement », selon Kamel El Hilali, protège aussi le discours politique.
La protection des discours de haine
« Les discours incendiaires et les insultes de Donald Trump s’inscrivent dans la campagne et le discours politique est protégé par le premier amendement. Les candidats ont le droit d’être grossiers ou de mentir », explique-t-il. Aux Etats-Unis, il est possible d’insulter son opposant sans être inquiété, tant que cette injure ne conduit pas à un trouble à l’ordre public. De même, contrairement à notre pays, les Etats-Unis ne sanctionnent pas les discours de haine, une particularité qui a notamment protégé les agissements du Ku Klux Klan.
Dans l’arrêt de la Brandenburg v. Ohio, la plus haute instance juridique du pays a ainsi estimé que les discours prônant une conduite illégale sont protégés par le Premier amendement tant qu’ils n’incitent pas à une « action illégale imminente ». Ainsi, « certains discours insoutenables en France, comme une pancarte ouvertement tenue en pleine rue, seraient considérés comme relevant de la liberté d’expression aux Etats-Unis », explique Kamel El Hilali.
Un homme qui « dépasse toutes les lignes rouges »
Reste que depuis l’arrivée de Donald Trump dans la politique américaine, le magnat de l’immobilier a dynamité la tradition de retenue historiquement associée aux hautes fonctions du pays. « Même si la tolérance est assez forte, Donald Trump dépasse toutes les lignes rouges. Il profite du flou juridique », avance encore Kamel El Hilali. Car si la violence verbale du républicain s’inscrit, certes, dans un pays qui sacralise la liberté d’expression, elle dépasse toutefois largement les limites de la loi.
Alors pourquoi le milliardaire s’en sort-il toujours ou presque ? En près de dix ans de vie politique, Donald Trump n’a été inquiété que deux fois pour ses invectives - si l’on exclut son discours séditieux ayant entraîné l’assaut du Capitole. En octobre 2023, il a été condamné à une amende de pour un post désobligeant sur une greffière du tribunal qui le jugeait pour des fraudes financières. Plus impressionnant encore, en janvier 2024, l’ancien président a été condamné à verser pour l’avoir diffamée. Reconnu coupable d’agression sexuelle à son encontre, Donald Trump continuait pourtant à traiter régulièrement l’ancienne journaliste de menteuse.
« Il peut dire n’importe quoi »
Pour expliquer la maigreur des poursuites face à la litanie quotidienne d’insultes du républicain, Kamel El Hilali évoque un « effet Trump ». « On a du mal à le concevoir en France mais Donald Trump est une véritable star, il peut dire n’importe quoi », précise le docteur en droit public. : « je pourrais tirer sur des gens sur la 5e Avenue, sans perdre un seul vote. » « Au fond, même s’il ne tire pas réellement, il tire avec ses mots et, effectivement, rien ne lui arrive », glisse Kamel El Hilali qui ajoute qu’en étant continuellement outrancier, Donald Trump se protège un peu derrière l’usure.
« Si tous les concernés déclenchaient une bataille devant un juge pour défendre leurs droits, il faudrait mobiliser des moyens tous les quatre matins », résume-t-il, ajoutant que Kamala Harris pourrait être accusée de faiblesse si elle se tournait vers les tribunaux pour se défendre des attaques de son rival. La vice-présidente a donc tout intérêt à répondre, avec un peu plus de hauteur, certes, mais comme son adversaire, sur le terrain politique plutôt que juridique.