« Macron a peur de son peuple et de son époque », tacle Sandrine Rousseau qui sort son prochain livre ce vendrediSportuneBébés et MamansMinutes Maison
C’est un appel à la radicalité, mais aussi une volonté de faire table rase d’une partie du passé pour pouvoir avancer. Dans son dernier livre, Ce qui nous porte - Comment nous pouvons éviter la catastrophe (Le Seuil), à paraître demain, s’astreint à un exercice périlleux. Celui de remettre à sa place une réalité encore aujourd’hui largement fantasmée : celle des Trentes Glorieuses, de son plein-emploi et de ses avancées sociales.
« Pourtant, je leur dois beaucoup aux Trentes Glorieuses ! », assure-t-elle, comme pour se prémunir d’attaques potentielles. N’empêche, la députée écologiste l’affirme : il est désormais temps de déconstruire le mythe, pour laisser la place à une vision plus optimiste d’un avenir possiblement meilleur et plus désirable.
Dans votre livre, vous avez choisi de confronter l’époque des Trentes Glorieuses au monde actuel. Pourquoi avoir voulu faire ça précisément maintenant ?
Parce que je trouve, justement, qu’on est encore complètement enfermé dans cette période des Trentes Glorieuses. Il y a une forme d’enfermement, d’emprisonnement dans ce modèle qu’on voudrait retrouver et qui reste LA référence. Aujourd’hui encore, on conditionne le financement du système social à. Sauf que tout le problème vient de là ! Et tant que nous n’en prendrons pas conscience, nous ne réussirons pas à penser autrement.
Est-ce que les Trentes Glorieuses, ce n’était pas, finalement, un point de rupture ?
Les Trentes Glorieuses ne sont regardées de manière ni objective, ni sereine. Ce sont des années d’accaparement de la nature, de transformation de la nature en objet, d’artificialisations massives… Et ce sont aussi des années où on ne pense pas « limites », et où on ne pense pas « ressources » non plus. Quand on parle des Trentes Glorieuses, on ne pense pas non plus à la place des femmes. On ne pense pas à la place des immigrés qui vivaient, pour beaucoup, dans des taudis. Donc en fait, les Trentes Glorieuses, c’est une manière très biaisée de regarder notre histoire.
Ces années-là ont pourtant été socialement très riches…
Il faudrait faire un inventaire de l’imprudence de ces Trentes Glorieuses. Oui, on a eu les congés payés et la voiture, et ça nous a permis une liberté, c’est indéniable. Oui, on a eu des machines à laver et ça a permis une liberté, c’est indéniable. Mais on a fini par perdre de vue que le système économique n’était qu’un outil ayant un objectif social avant tout. Et aujourd’hui, on a perdu le contrôle sur ce système-là. Il nous échappe totalement. C’est un peu comme dans le jeu Pac-Man où on se ferait « manger » par le système.
Vous égratignez pas mal la gauche, notamment en écrivant qu’elle ne remplit pas complètement son rôle. De quel rôle s’agit-il ?
Je dis surtout qu’elle est elle-même prisonnière de cette période. J’ai été très surprise quand j’ai vu le programme du , auquel je n’ai d’ailleurs pas participé. Il y est notamment question de relance par la consommation, de bas salaires… On n’a rien inventé ! Alors ok, on l’a mâtiné d’écologie et d’autres choses. Mais à la fin, on est restés, nous aussi, prisonniers de cette grille de lecture.
Et je pense que la gauche ne gagnera pas tant qu’elle continuera de proposer un camaïeu que les autres proposent aussi.
Vous affirmez que les Français seraient en réalité plus ouverts et tolérants qu’on ne le croit. A l’image de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques ?
Cette m’a, en effet, beaucoup marquée. A travers elle, Thomas Jolly a montré au monde entier que les identités de genre se modifiaient, que les femmes avaient leur place dans l’Histoire, qu’une femme noire pouvait chanter la Marseillaise et que c’était sublime. C’est comme si tous ces mouvements invisibles éclataient tout à coup à la face du monde. Ça m’a fait un bien fou ! Et puis ensuite, il y a eu cette espèce de microcosme d’extrême droite qui nous a obligés à la violence du débat.
Mais le débat public et politique n’est pas du tout révélateur de ce qui se passe dans la société. Parce qu’en réalité, on est prêts. On est prêts à la transformation écolo, on est prêts à une société sans domination, on est prêt à une société sans violence. On est prêt à changer !
Mais selon vous, une partie seulement des Français serait prête au changement. On fait quoi des autres ?
Si on prend l’exemple des gestes écolos, en fait, tout le monde s’y est mis. Simplement, ce qu’on fait tous, c’est ce qui est le plus simple comme trier ses déchets ou prendre les transports en commun quand on le peut. Ce qui manque pour aller plus loin, c’est l’instauration de vraies politiques publiques.
Comme lors des Trentes Glorieuses ?
Exactement. Pendant les Trentes Glorieuses, des politiques sociales ambitieuses ont été mises en place. Mais pas écologique. Aujourd’hui, il nous faut retrouver un esprit collectif, mais avec l’écologie au cœur des politiques publiques. Car sur le réchauffement climatique, on est dans une situation d’une gravité extrême. Toute notre économie devrait désormais être centrée sur comment on se protège. Mais ce n’est toujours pas le cas car on cherche encore la croissance comme on cherche le dahu…
Pour vous, l’ascenseur social serait cassé. Vous allez même jusqu’à parler de déclassement. Est-ce que ce ne serait pas ça, finalement, le mal de notre siècle ?
Les Trentes Glorieuses, c’était une période où tout était possible. Mon grand-père, par exemple, a été garçon de ferme à 12 ans, blessé de guerre puis cordonnier. Sur mes quatre grands-parents, il n’y en a qu’un qui avait le certificat d’études. Ce qui est incroyable, puisque dans les générations suivantes, il y a des chercheurs ! C’était de vraies opportunités sociales.
Aujourd’hui, il y a non seulement un déterminisme social, mais il y a aussi un accaparement du mérite. Et s’accaparent le mérite, ceux qui sont dans les meilleures familles. Pour moi, ça, c’est vraiment un outil de la domination. Je trouve qu’il y a un accaparement, par les riches, du mérite social et écologique. Ceux qui se déplacent à vélo, par exemple, c’est parce qu’ils peuvent le faire. Ils habitent en ville, sont en bonne santé… Quid des autres ? Aujourd’hui, il y a un enfermement social, un déterminisme social et un déclassement qui s’amplifie de manière considérable.
Ce déclassement pourrait être l’une des raisons de la montée du nationalisme et du masculinisme en France ?
Oui, parce que si on ne trouve pas de la fierté dans ce que vont faire nos enfants, ou si on ne trouve pas de fierté ni de sens dans le travail que l’on produit, alors on va aller chercher de la fierté ailleurs. Dans le fait d’être français, ou dans le fait d’être un mec avec des gros muscles, par exemple.
La France est restée sans gouvernement pendant plus de 50 jours. Un record. Qu’est-ce que cette séquence politique dit de notre époque ?
Ça dit qu’Emmanuel Macron a peur de son peuple et de son époque. Et il a joué avec les Français d’une manière que je trouve un peu sadique.
Que répondez-vous à ceux qui ont dénoncé un « déni de démocratie » à la suite de la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre ?
Tout le problème de la démocratie, c’est qu’il faut qu’elle soit comprise comme représentative. Pour qu’elle fonctionne, il faut que le peuple ait confiance dans le fait qu’on le représente. Et là, je pense que si vous posez la question à des gens dans la rue, il y a des chances que beaucoup vous répondent qu’ils n’ont pas l’impression d’être bien représentés dans l’hémicycle. Lorsqu’il y a des points de blocage, comme par exemple, je pense qu’il faut s’en remettre au peuple. (RIP) sur la retraite aurait du sens.
En ce qui concerne la nomination de Michel Barnier, il est le visage, l’incarnation des Trente Glorieuses et de leur nostalgie. C’est un homme qui est né politiquement dans cette époque. Mais c’est aussi une obstination d’Emmanuel Macron à ne pas vouloir penser une autre société. Il avait dit « j’aime la bagnole », avec des accents très pompidoliens. On s’attendrait presque à ce que l’un ou l’autre arrive en DS noire.