« On vit dans une société de plus en plus tolérante »… Et si la France n’était pas vraiment un pays de droite ?SportuneBébés et MamansMinutes Maison

«Les citoyens ne se sont pas droitisés, mais les urnes, si », écrit Vincent Tiberj, professeur en politique à dans son livre La droitisation française, mythe et réalités, qui vient d’être publié . Il répond aux questions de 20 Minutes pour expliquer son travail sur ce paradoxe de la droitisation.

Il l’a exploré dans son ouvrage à l’aune notamment des moods (les indices longitudinaux de préférences en français). En compilant des données de différents baromètres, ces indicateurs donnent une idée plus fine que les sondages sur les évolutions des opinions sur le long terme.

Vincent Tiberj est professeur en sociologie politique à Sciences Po Bordeaux.  - Hannah Assouline

Pourquoi vous êtes-vous penché sur cette question du paradoxe de la droitisation ?

Cela fait plus de quinze ans que je travaille sur les dynamiques d’opinions et leurs évolutions dans le temps, et j’ai constaté un hiatus très fort entre ce que disaient les indicateurs de long terme et ce qu’on disait du pays. Certains commentateurs et acteurs politiques affirment que le pays est à droite et qu’il est donc normal que la droite gouverne. Il y aurait une demande de régulation de l’immigration, de baisse des impôts…

Si cette posture se comprend du point de vue politique, pour que l’on considère leurs idées « naturelles », on ne voyait plus, au sein de la société, tous les signes qui allaient dans un sens différent.

Comment résumeriez-vous votre thèse dans ce livre ?

Il n’y a pas de droitisation par en bas, c’est-à-dire pas une demande qui pointe systématiquement vers des valeurs que pourraient incarner les droites. En revanche, il y a une droitisation par en haut, du débat, du bruit médiatique. Et elle se moque de ce qui se passe en bas.

Quand on met tous les indicateurs ensemble (relatifs à l’acceptation des minorités, à la demande de redistribution, au libéralisme économique…), on se rend compte qu’il y a bien sûr des hauts et des bas, mais qu’on vit dans une société davantage tolérante qu’il y a vingt ans ou même seulement dix ans.

Par exemple, on est en bien meilleure position en matière d'acceptation de la diversité et notamment des descendants d’immigrés, des personnes racisées et des minorités. La progression est aussi assez impressionnante sur les questions d’homosexualité, sur lesquelles il y a de plus en plus d’acceptations et de droits. Ce qui n’empêche pas les agressions homophobes et les préjugés mais tendanciellement, ça va beaucoup mieux aujourd’hui.

Mais alors, comment expliquer les derniers résultats électoraux qui donnent beaucoup de place à la droite ?

Une élection n’est pas la mesure parfaite des préférences des électeurs, c’est d’abord une question. Les élections de 2024 ont tourné autour des questions de sécurité et d’immigration et dans ce cadre, la gauche joue à l’extérieur tandis que l’extrême droite impose le terrain. On peut noter aussi une forme d’entraînement, de démultiplication des prises de parole à droite, via CNews par exemple, alors que ses audiences sont bien inférieures à celles de France 2 ou de TF1. Et ces discours par en haut arrivent à masquer les évolutions des opinions par en bas.

On ne peut pas dire que tous les citoyens sont des électeurs et que tous les électeurs sont en soutien des bulletins qu’ils ont choisi. On sait que c’est plus compliqué : les gens votent de plus en plus contre ou pour faire barrage. Et si une élection mobilise peu, cela induit un avantage systémique pour la droite et l’extrême droite.

Il faut aussi se rappeler que la moitié des gens ne sont pas alignés sur des partis. Si l’on reste dans la fiction du bulletin comme soutien et que seuls les citoyens qui votent sont des vrais citoyens, ça peut continuer longtemps… Mais alors la vie politique peut être assimilée à une tête de canard qui caquète mais qui n’a plus de corps.

Dans votre livre, vous englobez sous le terme de « grande démission » ces abstentionnistes qui ne votent plus, par conviction politique. Expliquez-nous…

Ces citoyens font politique à part, c’est-à-dire qu’ils s’investissent dans les associations, les comités de quartier ou des fêtes mais sans les élus et les partis. Ce sont dans des catégories plutôt favorables à la redistribution et à l’ouverture culturelle, donc marquées à gauche. Les électeurs de droite restent, eux, plus souvent alignés sur les partis.

Le facteur le plus important de ce que j’appelle « la grande démission » c’est le renouvellement générationnel, car ce sont les boomers qui maintiennent la participation. Si on ne réussit pas à réenclencher une envie d’aller voter (peut-être par des référendums par exemple), on va tomber en dessous des 30 % de participation et là, la légitimité du système est grandement remise en question. Dans certains pays, il existe une obligation d’atteindre un certain niveau de participation pour qu’une élection soit considérée comme valide.

Les brouillages opérés entre la droite et la gauche ont-ils aussi contribué à faire baisser la participation ?

La politique, ce sont d’abord des choix. Quand on met les gens devant des choix clairs, ils réussissent très bien à remplir la tâche qui leur est assignée. Moins vous laissez le choix, moins vous impliquez et plus vous frustrez.

Quand les macronistes disaient qu’ils étaient le camp de la raison et que les autres étaient nécessairement des extrémistes, on en arrive à ne plus pouvoir discuter de points économiques. Or, en faisant certains choix, on sait bien qu’on favorise certains groupes. Par exemple, en proposant des crédits d’impôts aux entreprises sans contrepartie, on sait qu’on envoie un message. Et faire croire qu’il n’y a pas d’alternative et qu’une seule politique est raisonnable, c’est tout simplement antipolitique.

Votre conclusion est assez alarmiste sur le divorce entre élus et citoyens. Comment revitaliser la démocratie ?

Nous sommes à un vrai tournant. On sort d’un exercice du pouvoir où syndicats, associations et élus ont été maltraités, ce qui a vraiment mis à mal l’équilibre avec la société civile.

Notre classe politique n’a pas confiance en ses citoyens et pense qu’ils n’ont pas le niveau (qu’ils ne maîtrisent pas assez les données techniques) pour faire des choix politiques éclairés. On sait au contraire qu’on a jamais eu autant de citoyens capables de jouer leurs rôles (élévation générale du niveau de diplôme) et de s’informer, et ils le font. On fait comme s’il ne fallait surtout pas que les citoyens aient leur mot à dire dans l’exercice du pouvoir.

Les référendums sont intéressants mais insuffisants. L’une des pistes, selon moi, consiste à changer la culture politique élitiste qui ne permet pas de vraiment associer les citoyens. Pour la qualité de la démocratie, il faut que ça travaille en horizontalité, dans le local et dans toutes les strates de la société. Afin que la politique, en France, soit autre chose que la rencontre entre un homme providentiel et un peuple.

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