« Il existe un visage féminin de la dépression », explique la psychiatre Lucie JolySportuneBébés et MamansMinutes Maison
Chaque année, entre 8 et 16 % des femmes âgées de 18 à 50 ans font une . Un chiffre « deux fois plus élevé » que chez les hommes, selon Lucie Joly, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine et Trousseau et enseignante à Paris Sorbonne Université et Hugo Bottemanne, psychiatre à l’hôpital Bicêtre et enseignant à l’Université Paris Saclay.
À l’occasion de la sortie ce mercredi de leur livre La dépression au féminin (Editions du Rocher), ils expliquent à 20 Minutes pourquoi les femmes sont davantage touchées par cette maladie que leurs homologues masculins.
Pour commencer, vous expliquez dans votre livre qu’il existe une « dépression au féminin » et des symptômes « atypiques ». De quoi s’agit-il ?
Lucie Joly : Il existe un visage féminin de la dépression. Les femmes vont montrer davantage de tristesse, de désespoir, de sentiment d’inutilité, d’. Les hommes, eux, font plus de dépression colérique, avec des addictions, de l’irritabilité, de la fuite par de l’hyperinvestissement professionnel, sportif ou sexuel. De plus, les femmes ont plus souvent tendance à présenter des symptômes dits atypiques, parmi lesquels un appétit et un sommeil plus important que d’habitude, une accélération des mouvements et de la pensée, davantage de sensations douloureuses.
Vous racontez aussi qu’il existe des différences biologiques entre les hommes et les femmes qui peuvent expliquer un chiffre plus élevé chez ces dernières. Quelles sont-elles ?
L. J. : Les remaniements hormonaux sont une des clés pour comprendre la dépression au féminin même si ce n’est pas la seule. Le meilleur exemple est le syndrome prémenstruel (SPM) ou le (TDPM). Le TDPM est un état pathologique qui touche 5 % des femmes avec des symptômes de dépression sévère les jours précédant les règles. Le SPM est physiologique et touche 20 à 50 % des femmes, avec des symptômes d’hypersensibilité émotionnelle ou de fatigue avant les règles. La période de la grossesse et du post-partum est aussi importante, avec des modifications cérébrales rendant plus susceptible aux troubles anxieux et dépressifs. Les symptômes de la vont toucher une femme sur cinq et la dépression pendant la grossesse concerne 10 à 15 % des femmes. Enfin, la dernière grande période concernée, c’est la préménopause. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas lors de la mais lors des deux années la précédant qu’il y a davantage de risque de dépression.
En quoi ces remaniements hormonaux jouent-ils sur la dépression ?
Hugo Bottemanne : Il existe à tout moment une plasticité cérébrale, c’est-à-dire que les neurones modifient constamment leur connexion entre eux pour répondre aux besoins du corps et pour se préparer à réagir aux changements dans l’environnement. Les hormones influencent cette plasticité cérébrale. Elles peuvent modifier le profil d’action des neurotransmetteurs, qui sont les molécules chimiques qui permettent la transmission d’information. En association avec les facteurs de stress et de l’inflammation, cela peut participer à l’émergence de troubles psychiatriques chez la femme.
Et qu’en est-il du lien entre la pilule contraceptive et les troubles de l’humeur ?
H. B. : La littérature scientifique ancienne avait montré , notamment oestroprogestative, sur les émotions. Mais une littérature plus récente montre que ses effets ne sont pas si clairs. Certaines études montrent même qu’elles sont protectrices contre les troubles de l’humeur. Ce qu’on sait en tout cas, c’est que plus on commence la contraception tôt, vers 12-13 ans, plus il va y avoir des variations hormonales qui peuvent être potentiellement délétères. Certaines études ont montré que la reprise d’une contraception progestative dans les premiers mois après l’accouchement pouvait être associée à un surrisque de dépression du post-partum. Pour donner un message global, je dirais qu’il faut s’adapter au cas particulier de chaque femme et faire attention aux effets potentiels sur la santé mentale lorsque l’on prescrit une contraception.
Vous expliquez qu’il y a aussi des facteurs socio-économiques à prendre en compte, comme la précarité ou les violences sexuelles et conjugales. En quoi ont-ils un impact sur la dépression ?
L. J. : Lorsque l’on subit de la précarité et de la violence, on a davantage de risques de souffrir de dépression. A titre d’exemple, 30 % des femmes qui sont dans la précarité souffrent de cette pathologie.
H. B. : J’ai travaillé ces deux dernières années à et chez certaines victimes de violences conjugales, parfois de nombreuses années après les faits, des symptômes de dépression peuvent apparaître. Contrairement à une représentation répandue, une étude a montré que la dépression n’était pas plus fréquente chez les victimes de violences physiques que chez celles subissant des violences psychologiques. Il est possible que l’on sache mieux prendre en charge, d’un point de vue social, judiciaire et médical les violences physiques, tandis que les violences psychologiques restent souvent dissimulées, impunies.
Toutefois, ces chiffres sont-ils biaisés par le fait que les hommes consultent moins de professionnels de la santé mentale que les femmes ?
H. B. : Effectivement, et expriment plus facilement leurs plaintes que les hommes. Elles vont davantage parler de leur souffrance psychique alors que les hommes, eux, vont plutôt pallier leur souffrance à l’aide de la consommation d’une substance psychoactive comme l’alcool ou faire des transgressions. De plus, les dépressions colériques dont souffrent davantage les hommes ne rentrent pas dans la représentation culturelle qu’on a généralement de la dépression et donc elle est parfois mal ou pas diagnostiquée. Ce biais doit jouer mais ce n’est pas suffisant pour expliquer un chiffre deux fois plus important chez la femme.
Quelles solutions pourraient être envisagées pour réduire le nombre de dépression chez les femmes ?
L. J : On prône une approche personnalisée de la médecine. En cardiologie, par exemple, on prend désormais en compte les facteurs de risque et parce qu’on s’est aperçu que les femmes avaient un délai de prise en charge beaucoup plus long que celui des hommes. On devrait faire pareil pour la dépression. Cela commence d’ailleurs à fonctionner puisque, dans la dépression du post-partum, vient de sortir aux Etats-Unis. Et il faut aussi favoriser les essais cliniques sur les femmes. On a longtemps pensé que les variations hormonales allaient biaiser les résultats mais c’est tout le contraire. En prenant en compte ces variations, on s’assure de mieux les prendre en charge.