Médicament : Alors qu’il est menacé de vente, faut-il tout faire pour garder le Doliprane sous pavillon français ?SportuneBébés et MamansMinutes Maison
Alerte, patrimoine français menacé. Imagine-t-on les s’approprier , sans qu’on ne bouge le petit doigt, ou ? L’Italie reprendre La Joconde ou Nice sans subir une déclaration de guerre en échange ? Les Misérables devenir une œuvre allemande sans revivre Verdun ? Bien sûr que non, la France éternelle sera toujours là pour défendre ses merveilles. Partant de ce postulat, faut-il tout faire pour garder sous pavillon tricolore le Doliprane, qui nous a tant sauvés d’une gueule de bois mal négocié ?
Le comprimé agite depuis quelques jours le mercato pharmaceutique. ne ferme pas la porte aux transferts à Opella, l’un de ses groupes qui produit entre autres le fameux médoc à base de paracétamol. Parmi les deux offres restantes, un américain, le fonds d’investissement américain CD & R. « Le risque, c’est de voir la production de médicament être délocalisé, et que la France perd encore de cette autonomie sanitaire », estime Samira Guennif, économiste de la santé et enseignante à l’UFR santé, médecine et biologie humaine de l’université Sorbonne Paris Nord. Une autonomie déjà sérieusement mise à mal (souvenez-vous des masques pendant la crise du) : « Aujourd’hui, la plupart des médicaments vendus en France sont produits à l’étranger. »
Une absence de marge made in France ?
Le problème, c’est qu’une fois fait en dehors du pays, leur livraison est loin d’être garanti - question de priorité nationale et de marché prioritaire. Dans le cas du Doliprane, « les nouveaux propriétaires pourraient chercher des marchés plus porteurs où le vendre plus cher, son prix étant réglementé en France », estime Samira Guennif. Aujourd’hui, une boîte de Doliprane est vendue en moyenne 2,15 euros et ne rapporte « que » 75 centimes au laboratoire, le reste étant entre le grossiste et le . C’est cette absence de marge qu’évoque Sanofi au moment de mettre son joujou en vente.
Un argument pas forcément recevable pour Nathalie Coutinet, enseignante en économie de la santé à l’université Sorbonne Paris Nord. « Ce problème de prix réglementaire concerne plus les génériques [auquel le Doliprane n’appartient pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire], donc pas vraiment Opella. Ce serait plus le cas de Biogaran, gros fournisseurs de générique et qui reste toujours rentable. Enfin, j’attends qu’on me prouve que les médicaments se vendent plus cher ailleurs qu’en France… »
Le Doliprane, vraiment un indispensable ?
Un discours donc potentiellement de façade, mais une problématique qui demeure. « Même si le Doliprane continuait à être livré en France, au même prix, on perdrait tous les avantages : l’emploi local, la fiscalité… Il n’y a aucune bonne chose à le voir partir sous giron étranger », complète Samira Guennif.
Fleuron national et exemple marquant de par son succès - 453 millions de boîtes vendues chaque année –, le Doliprane, aussi pratique soit-il pour nos maux de crâne, « n’est pas indispensable ou vital, souligne Nathalie Coutinet, étendant le cas aux autres produits d’Opella comme le Maalox (pour lutter contre les maux d’estomac). C’est un symbole mais perdre la production de certaines molécules anticancéreuses serait beaucoup plus dommageable. »
Sauver le soldat Doliprane, d’accord, mais comment ?
Pas une raison pour le laisser filer à Opella pour autant - surtout vu les maux de tête à venir autant en politique qu’en économie pour la France. Un Zidane n’est pas indispensable, mais on le garde quand même. « Les nouveaux médicaments, les "molécules innovantes" comme on les nomme, sont très peu produits sur le territoire, mais plutôt en ou au . Si on perd en plus les rares médicaments qu’on a déjà… », soupire Samira Guennif. Même constant pour Nathalie Coutinet : la perte potentielle d’un symbole doit être l’occasion de se réveiller sur notre autonomie sanitaire, quatre ans après en avoir fait une propriété nationale après le Covid.
« Bien sûr qu’il faut tout faire pour garder le Doliprane en France, souligne le docteur Jérôme Marty, généraliste et président de l’UFML-Syndicat. Il y a déjà beaucoup de pénurie de traitement et de médicaments, notamment dû aux délocalisations dans des pays dits émergents. En moyenne, il manque 80 produits en pharmacie. Si on pouvait éviter d’encore aggraver la situation… »
Et si on se bougeait pour le sanitaire ?
Alors soit, sauvons le soldat Doliprane. Reste à savoir comment ? Et c’est là que le bât blesse. « Les moyens d’action sont limités », euphémise Nathalie Coutinet. Déjà, Sanofi est un groupe privé et fait donc ce qu’il veut. L’Etat, pas mal impliqué quand même dans la vie économique du groupe et qui avait notamment cofinancé une usine mobile de vaccin « unique au monde » du groupe à Neuville-sur-Saône (Rhône), peut certes gronder le géant pharma, admet l’experte, mais ça ne restera qu’un joli coup de pression, et pas une contrainte.
« Il faudrait une politique industrielle européenne, comme font les Etats-Unis. Ces derniers ont investi entre 400 et 800 milliards pour relocaliser la production de médicaments, souhaiterait Samira Guennif. Mais en , on n’a pas ces montants, même s’il faudrait les investir… »
« L’Etat ne peut pour le moment pas faire grand-chose, conclut Nathalie Coutinet. C’est peut-être l’occasion de changer les leviers d’actions, de faire de certains médicaments une production publique. Il ne serait pas aberrant de déclarer le secteur pharmaceutique comme étant stratégiquement clé, comme celui de l’armement. Cela éviterait de rester immobile devant ces risques d’acquisition à l’étranger. » Car si la France souhaite vraiment protéger ces merveilles, autant qu’elle s’en donne les moyens.