Les questions que pose la vente du Doliprane à un investisseur américain (et pourquoi ça fait tousser) ?SportuneBébés et MamansMinutes Maison

Un petit peu de Maalox pour l’uppercut dans l’estomac ? Ou du Toplexil pour arrêter de tousser ? Fleuron de l’industrie pharmaceutique française, incontournable de nos tiroirs à médocs et compagnon compatissant de nos courbatures ou migraines, le Doliprane n’a jamais été aussi près de passer sous pavillon .

Le groupe a en effet rentrer en négociation exclusive avec le fonds d’investissement américain CD & R pour la cession d’une « participation majoritaire » d’Opella, sa branche qui fabrique et commercialise la célèbre boîte jaune mais, au-delà, une centaine de marques comme le Dulcolax le MagneB6, la Lysopaïne ou le Novanight.

Gavé d’argent public notamment via le CIR, Sanofi va vendre Doliprane, au fonds américain CD & R ! Or il y a plusieurs mois ce paracetamol était introuvable. Il est impensable d’abandonner notre souveraineté sur la production de ce type de médicament https://t.co/gF6xBEIoGc

— Eric Coquerel (@ericcoquerel) October 10, 2024

Alors, certes, Sanofi avait préparé le terrain depuis un an, en indiquant vouloir se concentrer sur l’innovation et l’immunologie. Mais il négociait aussi jusqu’à présent avec un racheteur – PAI Partners – dont les fonds sont en partie français. Le choix de cette vente à un partenaire américain a suscité des réactions ulcérées et appellent d’ores et déjà à bloquer cette opération qui pose de nombreuses questions. On vous les dispose dans le pilulier, avec l’aide de Frédéric Bizard, économiste spécialiste des questions de santé.

Ces médicaments étaient-ils un boulet pour Sanofi ?

L’activité de fabrication de sans ordonnance et de vitamines/minéraux d’Opella est visiblement florissante. Sanofi vante « une entreprise leader dans son secteur […], au service de plus d’un demi-milliard de consommateurs dans le monde […] et qui a réalisé une croissance des ventes de 6,3 % à taux de change constants en 2023 ».

Il y a donc pire boulet. Mais l’industriel n’en démord pas, il veut voir ce fleuron voler de ses propres ailes, pour se concentrer sur des « médicaments innovants ». Pour Frédéric Bizard, cette « stratégie de se séparer d’une division qu’on pourrait qualifier de vache à lait avec ses 5,5 milliards de chiffre d’affaires et ses 20 % de rentabilité – donc des flux financiers garantis, importants et durables – est risquée ».

Qu’est-ce que ce fonds américain CD & R ?

CD & R, du nom de ses fondateurs Clayton, Dubilier et Rice, est un vénérable fonds d’investissement fondé en 1978. Il s’agit « d’un fonds d’investissement sérieux qui présente des perspectives positives pour le développement global d’Opella ainsi que pour les sites implantés en France », ont indiqué de concert ce vendredi dans un communiqué Antoine Armand et Marc Ferracci, les nouveaux ministres de l’Economie et de l’Industrie.

Et effectivement, le fonds a les reins aussi solides que ses goûts sont éclectiques. Il possède notamment en France le groupe Mobilux, propriétaire des enseignes But et Conforama, et a racheté en 2021 Morrisons, la quatrième chaîne de supermarchés au Royaume-Uni. Pour Opella, CD & R aurait mis 15 milliards d’euros sur la table, soit plusieurs centaines de millions de plus que PAI Partners.

« On est dans l’ultrafinanciarisation d’une industrie qui n’a plus visage humain », déplore Frédéric Bizard. Le spécialiste « doute de la compatibilité du modèle de ces fonds de pensions avec la délégation d’un service public que sont, au fond, la production et la fourniture de médicaments ».

Faut-il s’inquiéter pour les emplois ?

« Ce matin, plus de 11.000 salariés dans le monde, dont 1.300 en France, se réveillent en découvrant qu’ils ont été vendus comme de simples marchandises à un fonds », s’étrangle la dans un communiqué ce vendredi après-midi en pointant « l’inertie scandaleuse de l’Etat ».

Les ministres en charge se veulent rassurants. Ils précisent « qu’un certain nombre d’engagements économiques seront exigés de la part de Sanofi et du futur repreneur […]. En particulier pour garantir le maintien du siège et des centres de décisions sur le territoire national, et préserver l’empreinte industrielle française d’Opella ». Un vœu réalisable tant que le racheteur américain ne possède que la moitié de l’entreprise. Pour Frédéric Bizard, la question de la viabilité de la production en France, « un pays avec des prix des médicaments plutôt bas mais un coût de production élevé », se posera « probablement dans trois à cinq ans, à l’horizon du prochain tour de table ».

Et la souveraineté industrielle dans tout ça ?

Qu’aurait-on fait sans nos Doliprane pendant le Covid ? Alors que la crise sanitaire a éveillé les consciences sur une nécessaire souveraineté industrielle en matière de médicaments, cette vente semble se faire à rebours de l’histoire ? Sur ce point, Frédéric Bizard se montre sévère. « Si le gouvernement avait vraiment voulu éviter cette cession, il aurait pu, dit-il. Par exemple, les Etats-Unis pour les produits anciens ont créé des sociétés à but non lucratif pour stabiliser le marché et essayer de le maintenir chez eux. Des initiatives un peu innovantes sur le plan capitalistique pourraient permettre à la France de rester compétitive. »

L’économiste regrette leur absence et en veut pour preuves la vente en cours de Biogaran, celle récente d’un centre de recherches du groupe Pierre Fabre à des Indiens ou encore « un projet de loi de finances 2025 qui annonce encore un milliard de rabot sur le prix des médicaments ». « C’est un excellent de faire fuir les laboratoires », estime-t-il. « La réalité, c’est qu’on est dans une voie de désertification pharmaceutique, alors qu’on était n° 1 jusqu’en 2008. »

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