Elections à la LFP : « On est dans l’accident industriel majeur »… Vincent Labrune peut-il décemment être réélu ?SportuneBébés et MamansMinutes Maison
se rêve-t-il en super héros la nuit ? Le président de la Ligue de Football Professionnel (LFP), candidat à sa succession le 10 septembre, d’avoir combattu de « puissants ennemis » pour maintenir à flot le bateau foot français pendant sa mandature. Un récit un poil exagéré de ses bisbilles avec la chaîne Canal + (et son représentant, l’ancien copain Maxime Saada), partenaire historique du foot français désormais érigé en fossoyeur.
Pour un bourreau, la chaîne cryptée a pourtant bonne presse : nombreux sont les dirigeants à attendre son retour à la table des négociations comme la providence. Coup de bol, le candidat de l'opposition en a fait un argument de campagne, en prenant soin de donner une leçon de gestion de crise au passage. « Je pense qu’il fallait accompagner l’évolution avec des nouvelles chaînes, exposait Linette au micro de l’After Foot sur RMC. Faire entrer des concurrents, des opérateurs mais toujours garder au moins un pied dans Canal+. »
Petite subtilité et génie de la , Canal a pour sa part gardé un pied dans la L1 sans avoir donné suite à l’appel d’offres des droits TV pour la période 2024-29, et donc sans verser un sou à l’instance dirigeante, à la faveur de son contrat de distribution avec beIN. Le tout est expliqué par Pierre Maes, consultant international en droits TV du sport et auteur de La Ruine du Foot Français :
« Canal est le grand gagnant de cet appel d’offres. Ses abonnés’’sport’’ jouissent d’une affiche par semaine parce qu’ils ont [qui a hérité du meilleur match ou du choix 2 selon les semaines pour 100 millions d’euros]. Je ne vois pas pourquoi Canal, qui au maximum doit payer ce que paye beIN étant donné qu’il s’agit d’une distribution exclusive, irait verser 300 ou 500 ou 600 millions d’euros alors que pour 100 millions, ils ont une très belle affiche de L1. »
La crise des abonnements de DAZN et la menace d’une nouvelle bombe à retardement
Grand amateur de poker, Vincent Labrune aurait gagné à étudier les échecs, bien qu’il s’en tire quasiment à bon compte avec les 500 millions d’euros très arrondis de DAZN - revenu avec une offre au rabais après avoir pris un râteau monumental - et beIN sur un marché déflationniste. Surtout pour un produit que tout le monde s’accorde à décrire comme désuet, et un championnat désormais orphelin de stars majeures depuis le départ de .
« A titre de comparaison, Canal+ a obtenu l’exclusivité des droits de la Ligue des champions pour près de 500 millions [480], rappelle Karl Olive, représentant de la au sein du Conseil d’administration de la Ligue. Le prix réel de la s’approche beaucoup plus de celui qui a été obtenu que celui sur lequel on pouvait rêver il y a encore quelques années. »
Le problème se trouve dans les promesses initiales. Car Vincent Labrune a beau prétexter un coup de communication dans le cadre de négociations pour les droits TV, le milliard d’euros annuel etait plus qu´une paire d'as : il faisait partie d’un business plan très concret. « Le plan d’affaires de la LFP était de 4,2 milliards sur quatre ans [avec des droits TV valorisés à hauteur d’1,8 milliard d’euros par an]. Là, ça va rapporter moins de deux milliards. On est dans l’accident industriel majeur », prévient Christophe Bouchet, qui a échoué à obtenir les parrainages nécessaires pour acceder à la dernière ligne droite des élections.
Un camouflet auquel il faut ajouter la porte de sortie ouverte à DAZN après deux saisons selon l’accord passé avec la plateforme. Une mesure validée à l’unanimité par le conseil d'administration malgré les désaccords : le risque de voir les droits TV remis sur la table pour une somme encore plus dérisoire inquiète dans les couloirs de la Ligue.
« Le pire est que cette porte a été ouverte à leur initiative, hallucine l’ancien maire de Tours. C’est là où il y a un manque de connaissance, d’intelligence, de respect de ce que les professionnels savent des droits TV [notamment du spécialiste de la question à la Ligue Mathieu Ficot, dont le départ soudain pendant les négociations interroge]. Mais DAZN, évidemment qu’ils vont sortir au bout de deux ans. Parce qu’aujourd’hui, ils ne l’auront pas leur million et demi d’abonnés [en six mois] ».
Conscient de l'impasse, alors que les premières rumeurs qui circulent évoquent le chiffre cataclysmique de 150.000 abonnés à peine, le groupe DAZN vient d'ailleurs de baisser son abonnement à 20 euros mensuels, espérant, que 65 % des personnes sondées par Odoxa jugent désormais « légitime ». Révolté, le PDG de DAZN France et Suisse Brice Daumin parle carrément de « promotion du piratage dans la presse » au milieu d’une leçon de morale au consommateur (« le piratage, c’est du vol »), sans doute malvenue.
« C’est quelque chose qui doit être travaillé à l’échelle internationale pour lutter contre ces plateformes, sur ces fournisseurs d’accès à Internet qu’on peut retrouver par exemple au Brésil, où il suffisait d’aller sur Twitter pour avoir accès à Lille-PSG, rappelle Karl Olive. C’est très contre-productif pour les diffuseurs. Il y a des dégâts collatéraux pour les clubs de football, puisque ça dévalorise le prix du marché. »
Quand Labrune confisque les négo et fait du CA « une chambre d’enregistrement »
En face, le rôle providentiel prêté à Cyril Linette est certes un poil exagéré, mais le candidat de l’opposition a pour lui de maîtriser le rapport chaîne-abonnés et comprend que la sortie de l’impasse se trouve ailleurs que dans l’outil répressif. « C’est vrai que DAZN démarre très moyennement d’un point de vue commercial parce que c’est pas bon. Il faut trouver un moyen de co-construire une politique commerciale avec eux, prônait sur RMC l'ancien directeur des sports du groupe Canal. Il faut absolument trouver une solution pour qu’ils aient rapidement des offres plus attractives pour les fans sinon ce sera difficile. Il faut aussi que beIN signe son contrat. »
V’la autre chose. Parce que les présidents de clubs étaient tellement heureux d’entériner le deal à 100 millions d'euros avec la chaîne qatarie (en réalité 78,5 millions + 20 autres d'un accord de sponsoring avec Qatar Tourism), lors du CA daté du 31 juillet, qu’ils se sont contentés d’un petit bullet-point dans le procès-verbal pour garder dans un coin de leur tête la « nécessité d’adapter la programmation de la Ligue 2 à discuter par ailleurs ».
A peine ont-ils eu le temps de l’oublier que le dossier leur sautait déjà à la figure avec la révolte des supporters mécontents du retour des matchs en semaine. Et aujourd’hui, on imagine mal beIN, qui n’a toujours pas versé le premier acompte aux clubs, parapher le bout de papier dans un tel marasme, qui plus est juste avant une élection sur laquelle entend peser.
Un exemple parmi d’autres au royaume du « on prend l’argent et on verra le reste après » qui pose la question du sérieux avec lequel est mené ce genre de dossier et du respect des institutions. A commencer par le conseil d’administration, réduit au rang de « simple chambre d’enregistrement » lors des tractations pour les droits TV que s’est appropriées Vincent Labrune, à en croire un acteur du foot français contacté par 20 Minutes :
« Il nous a dit très clairement qu’il reconnaissait ses torts, mais qu’il avait été contraint de fonctionner comme ça, avec trois, quatre présidents autour de lui quand même (dont Nasser Al-Khelaifi et Jean-Pierre Caillot), avec qui il avait des rendez-vous. Et tout ça parce qu’il fallait préserver la confidentialité des discussions pour garder un certain pouvoir de négociation. » Dans sa bonté d'âme, le patron de la Ligue aurait promis de tout changer s’il était réélu.
Une autre source s’offusque par ailleurs d’un dilettantisme ambiant qui n’épargne même pas des affaires aussi cruciales que la seconde signature du deal avec CVC, fin 2023. « L’amateurisme, c’est de voir des gens qui sont autour de la table se demander c’est quoi ce truc pas préparé, se plaindre de n’avoir pas été briefés avant. On ne reçoit aucun document avant et on papote pendant 1h45 sur des grands sujets vagues et puis en fait, merde, il reste 15 minutes, il faut voter. Donc on vote, mais sans jamais expliquer quels étaient les éléments qui nécessitaient de re-voter [en l’occurrence, la contestation par le président du Havre de la répartition entre les clubs de la manne financière apportée par l’arrivée de CVC au moment de la création de la société commerciale de la LFP]. »
« Qu’autant d’argent soit entre les mains de responsables qui ne connaissent pas ou ne s’intéressent pas à ces éléments, cela nous interpelle. Tout comme le fait qu’ils fassent aveuglément confiance à quelques personnes », s’inquiétait à ce titre , sénateur LR de l’Isère et rapporteur de la mission d’information sur les fonds d’investissement dans le foot français, quelques jours après avoir auditionné, en plus de Vincent Labrune, Waldemar Kita ou encore Laurent Nicollin. Le Sénat a annoncé mercredi la reprise des travaux de la mission, dont l’épilogue est prévu le 4 octobre. Une audition de Cyril Linette est notamment prévue après les élections de la LFP.
Entre CVC et Vincent Labrune, le froid glacial
Les sénateurs ne sont pas les seuls à demander des comptes aux pontes de la Ligue. CVC, que Labrune se félicitait encore, lors de son audition, d’avoir fait rentrer dans le paysage français via la création de la société commerciale de la LFP, n’a que peu goûté au cavalier seul de l’ancien boss de l’OM dans le dossier des droits TV. Le fonds d’investissement s’en réfère notamment au droit de regard prévu par l’accord entre les deux parties. Conséquence immédiate, il se murmure que CVC attend Cyril Linette comme le messie. L’entourage de ce dernier se garde de révéler le secret de ses rapports avec les financiers, tout au plus sait-on qu’il a déjà fait affaire avec eux . Linette s’engage en tout cas à assainir la relation entre les deux camps en cas d’élection. Pas une mince affaire vu d’où il partirait.
« CVC, ils sont verts de rage, insiste Christophe Bouchet. Leur investissement a été englouti. Non seulement ils sont hors du plan d’affaires qu’ils s’étaient fixés mais les sommes qu’ils ont mises pour que cet investissement soit intéressant ont été dilapidées. Elles n’ont même pas été investies. L’outil de travail dans les stades, la production audiovisuelle, tout ce qui est structurel n’a jamais eu lieu. Il y a un moment où CVC va demander des comptes et où ça risque d’être un péril pour la LFP. » Le temps venu, Vincent Labrune fera ce qu’il préfère : sortir son costume de sauveur du football français et réciter ses combats homériques contre des grands méchants qu’il a lui-même crée, par intérêt ou maladresse. A condition bien sûr d’être réélu.