Commotions, jeu de tête… Comment le foot français gère le cerveau de ses joueursSportuneBébés et MamansMinutes Maison
L’image a glacé le sang de ses coéquipiers, comme de ses adversaires et des (télé) spectateurs. durant de longues minutes sur la pelouse samedi dernier, après avoir été violemment percuté par le Champenois Amadou Koné et avant d’être hospitalisé, Angel Gomes va bien mieux aujourd’hui.
Mais cet événement (heureusement) rare sur les pelouses de L1, six mois après en L2, a ravivé la problématique des commotions cérébrales. Ces dernières années, le sujet est bien plus prégnant dans le rugby, ce qui peut s’expliquer tout bêtement par la fréquence des incidents.
« Pour les clubs de Ligue 1 et Ligue 2, soit en gros 800 matchs de Coupes d’Europe, de championnats et de Coupe de France, on a eu au total 14 commotions déclarées, explique Emmanuel Orhant, directeur médical de la FFF, en citant les chiffres de la saison écoulée. En football, une commotion survient tous les 55 matchs, en rugby, une tous les deux matchs. »
Lors d’une rencontre de L1, en cas de choc à la tête, le médecin, en général celui de l’équipe du joueur blessé, dispose de trois minutes pour intervenir auprès de lui, examiner son état et lui poser quelques questions basiques, comme la date et le score. Si le test est négatif, le joueur sort, dans le cadre d’un remplacement supplémentaire, en plus des cinq changements permis par le règlement.
Deux expertises indépendantes pour éviter la pression
Ensuite démarre , assorti de deux examens par un « expert commotion » agréé par la Fédération (il y en a 18 dans toute la France), dans les 72 heures après le choc puis avant la reprise de la compétition. « Il s’agit d’éviter que le médecin du club, qui peut se retrouver sous la pression du joueur ou de l’entraîneur, soit le seul à prendre la décision, reprend le Dr Orhant. En moyenne, sur les deux dernières saisons, le joueur reprenait le quatorzième jour après la commotion. »
Il y a parfois des trous dans la raquette, comme lorsque Samuel Umtiti, lors d’un Lille – Reims en septembre 2023, a semblé passer avec succès le test, et de devoir être remplacé.
« Ce qui a été mis en place fonctionne bien en France, juge toutefois David Terrier, vice-président de l’UNFP, le syndicat des joueurs professionnels. Mais ce qui serait bien, et on a milité en ce sens au niveau de la FIFPRO [l’association internationale des footballeurs pro], ce serait de pouvoir faire des remplacements temporaires, sur le modèle du rugby [12 minutes hors du terrain]. Le médecin pourrait prendre le temps de vérifier l’état du joueur, sans pression d’autres joueurs ou de l’entraîneur. »
Seulement, , ne veut pas entendre parler de cette réforme. Pas plus qu’Emmanuel Orhant, d’ailleurs.
« « Ce n’est pas du tout la même vision. Dans le rugby c’est : "il y a une suspicion de commotion, je teste le joueur avant de le faire éventuellement revenir sur le terrain." Chez nous, le médecin a trois minutes. S’il est sûr que le joueur n’a rien eu, celui-ci continue. Sinon, à partir du moment où il y a un doute, il sort. C’est noir ou blanc. » »
Autre motif de désaccord entre le responsable de l’UNFP et le Dr Orhant : la prise de conscience des joueurs français. « Je reviens de Manchester et pour la PFA [le syndicat des footballeurs britanniques], c’est un gros sujet, témoigne David Terrier. Les joueurs demandent d’avoir plus de protections contre les commotions cérébrales. »
Varane, l’électrochoc
L’ancien défenseur de Metz, Nice et Ajaccio ne constate pas le même phénomène de ce côté-ci de la Manche. « Pour avoir fait des réunions avec des joueurs, ils posent des questions, réplique le Dr Orhant. Toutes ont une réunion annuelle pour expliquer ce qu’est une commotion. Dans les Pôles (espoirs), c’est également le cas. Dans les clubs, les médecins font aussi passer des informations. »
Des informations, Raphaël Varane en a aussi transmis en avril, dans . Le champion du monde 2018 confiait avoir joué malgré des symptômes de commotion cérébrale lors de deux des matchs importants : France-Allemagne (0-1, quart de finale de la Coupe du monde 2014) et Manchester City – Real Madrid (2-1, 8e de finale retour de la Ligue des champions en août 2020). Le défenseur français, hors du coup, avait d’ailleurs été coupable sur les deux buts des Cityzens.
« Cet entretien a servi de prise de conscience, juge Philippe Malafosse, le médecin héraultais qui a pris en charge Varane après ses commotions. Mais il va falloir faire des piqûres de rappel. Il ne faut pas que le soufflé retombe. » Auparavant, en France, seul Florent Duparchy avait joué bien malgré lui les lanceurs d’alerte, en septembre dernier. Le jeune gardien, désormais retraité à seulement 23 ans, en estimant que le club de Reims n’avait pas bien pris en charge ses commotions.
Mais de par son aura, la voix de Varane a bien entendu davantage porté. « En tant que footballeurs habitués à jouer au plus haut niveau, on est habitués à la douleur, on est un peu des soldats, des durs au mal, des symboles de la force physique, or ce sont des symptômes qui sont assez invisibles », observait le désormais joueur de Côme (Serie A) dans L’Equipe.
Un casque pour la prise en charge des commotions
Le Dr Malafosse, plutôt spécialisé dans le rugby du côté du MHR, a mené une étude pendant un an jusqu’en juin 2023 à l’hôpital Georges-Pompidou de Paris sur une série de 50 commotions cérébrales (essentiellement , mais aussi quelques footballeurs). Il s’appuie notamment sur un casque de réalité virtuelle pour prendre en charge les patients.
« C’est comme cela qu’on a remis Varane sur pied, affirme le praticien. C’est un équipement qui analyse les mouvements des yeux lors de certains exercices. Nos yeux bougent sans cesse, à une vitesse encore supérieure chez un sportif de haut niveau, qui va analyser une situation très rapidement, se positionner, anticiper. En cas de commotion, cette analyse peut prendre deux fois plus de temps. Il peut alors être mal placé, comme contre Manchester City. »
« Un joueur qui a fait une commotion, même s’il a suivi le protocole de retour au jeu, devrait effectuer ce genre de tests pour savoir s’il a récupéré ses capacités visio cognitives », poursuit le médecin, dont l’initiative ne convainc pas forcément le Dr Orhant, tout aussi dubitatif lorsqu’il entend parler d’une limitation du jeu de tête, en particulier chez les jeunes footballeurs.
L’Angleterre valide l’interdiction du jeu de tête en U11
Raphaël Varane milite pour cette mesure, après une période test dès cette saison chez les moins de 9 ans, avant d’être étendue aux moins de 10 ans puis aux moins de 11 ans les deux prochaines années.
« Aucune étude scientifique à ce jour ne dit qu’il y a un lien entre le jeu de tête et des maladies neurodégénératives, tranche le médecin fédéral. C’est un raccourci fait avec quatre études, deux écossaises, une suédoise et , qui montrent que lorsqu’on est joueur de foot professionnel, on a cinq fois plus de risques d’avoir une maladie neurodégénérative que M. Tout-le-Monde. Mais qui vous dit que c’est à cause du jeu de tête ? »
Le Dr Orhan est impliqué dans de nouveaux travaux sur le sujet, dirigés à Strasbourg par le professeur Stéphane Kremer, avec IRM et tests de mémoire. Ils impliquent 31 anciens joueurs professionnels (dont David Terrier), n’ayant subi aucune commotion cérébrale mais ayant beaucoup joué de la tête, et à peu près autant de sportifs de haut niveau non exposés à des impacts crâniens. Les premiers résultats de cette étude sont attendus dans les prochains mois.
Au Royaume-Uni, le thème des commotions cérébrales est déjà passé des laboratoires aux prétoires. Depuis plus de deux ans, 17 anciens footballeurs britanniques ou leurs familles ont entamé . Celles-ci se voient reprocher de ne pas avoir bien protégé les ex-joueurs, dont le champion du monde 1966 Nobby Stiles, atteint de démence et décédé en 2020.