UTMB 2024 : « Il fallait ouvrir l’horizon »… Douze athlètes handicapés s’attaquent au Graal de l’ultra-trailSportuneBébés et MamansMinutes Maison
Le 30 août 2019, l’image d’un coureur d’ultra-trail brandissant sa prothèse de jambe sur la ligne d’arrivée de la CCC à avait fait le tour du monde. Cet exploit XXL de , alors âgé de 49 ans, n’était certes pas sur la distance reine de mais sur les 99 km et 6.100 m de dénivelé positif de la CCC (contre 176 km et 10.000 m de D + pour l’UTMB). Mais devenir finisher d’une telle course dans les délais (en 28h05, avec une 1.578e et dernière place au général), avec un tel handicap, a contribué à faire bouger les consciences. Oui, des athlètes handicapés ont bel et bien leur place sur des challenges d’ultra en haute montagne, parmi les 10.000 engagés sur les différentes épreuves du Graal mondial de la discipline.
Et même parfois sans la moindre aide particulière. « On s’est rendu compte de la participation de ce coureur avec prothèse quand il a franchi la ligne d’arrivée, reconnaît Nicolas Lagrange, directeur des opérations d’UTMB Group. Ça a commencé à éveiller des questions chez nous. Le trail est plus compliqué quand on est handicapé mais ça reste possible donc il fallait qu’on s’y intéresse de près. » Et cinq ans plus tard, la situation a nettement évolué puisque ce ne sont plus quelques cas isolés mais un nombre record de 12 personnes en situation de handicap qui vont s’élancer de lundi à vendredi en Haute-Savoie.
« Courir est devenu vital pour moi »
Ceux-ci concourent dans trois des huit courses proposées par l’épreuve autour du Mont-Blanc, à savoir la MCC (40 km) ce lundi (10 heures), l’OCC (57 km) jeudi (8h15), et donc l’UTMB (176 km) vendredi (18 heures). La création pour ce 21e UTMB d’une , avec des coureurs atteints de handicaps visuel, intellectuel ou de motricité, et gérée par le traileur français , marque un tournant. Après un grave accident de moto, le 9 août 2019, ce Toulousain a été contraint de subir dans la foulée une amputation de son pied gauche, le jour de son 47e anniversaire.
Celui-ci explique que ce coup du sort l’a incité à retourner vers la course à pied, lui qui avait délaissé l’athlétisme à la fin de l’adolescence. « Courir est devenu vital pour moi, c’était une madeleine de Proust, raconte le coureur de 52 ans sponsorisé par Salomon et i-Run. Quand tu en es privé comme moi, sentir les odeurs de la nature en courant est une sensation incroyable. »
S’il n’existe pas en 2019 de véritable lame adaptée au trail-running, Boris Ghirardi se contente d’un « pied hybride » qui lui permet de courir un peu. Avec un constat/regret alors : « Le sport n’est pas inclusif du tout, tout est une bataille : aucun matériel de sport n’est remboursé, et il faut sortir 10.000 euros de notre poche pour avoir une lame de course ». Deux ans après son amputation, l’athlète handisport relève néanmoins le défi du si réputé trail de (31 km et surtout 2.500 mètres de dénivelé positif) qu’il finit.
Le rôle clé de « Pied de robot » en France
Un « aboutissement » au milieu d’une série de défis (Maxi-Race à , …) pour celui qui crée en parallèle en 2021. Cette association a pour but d’accompagner et d’inspirer celles et ceux qui ont été confrontés à des parcours similaires. Première personne en France à se faire rembourser sa lame -un tournant pour le sport handi dans l’Hexagone-, Boris Ghirardi s’engage dans le développement de la , en partenariat avec et . Une nouvelle perspective d’accès au sport outdoor pour ceux qui avaient perdu espoir.
« C’est une vraie révolution, on peut vite obtenir une lame coûtant un peu moins de 2.500 euros », apprécie-t-il. Grâce à des étudiants de l’Ecole des Mines d’Albi, son souhait de « sortir du stade d’athlétisme » devient donc possible : un athlète handi peut insérer son moignon dans une lame carbone équipée d’une semelle de trail-running.
Boris Ghirardi raconte avoir longtemps perçu des doutes quant à son projet : « Je voulais rendre l’outdoor accessible aux personnes amputées comme moi. Mon prothésiste me regardait alors avec de grands yeux en pensant cela impossible. Il fallait ouvrir l’horizon ». Mission accomplie pour celui qui est surnommé « Pied de robot » dans le monde du trail.
Mathieu Blanchard parrain de cette Team Adaptive
Et comme le prouve l’équipe Adaptive de cet UTMB 2024, pour lequel Boris Ghirardi ne peut en être car actuellement blessé, il ne court pas seul. Parmi les icônes en situation de handicap dans l’ultra figure (52 ans). Cette Américaine est déterminée à devenir cette semaine la première personne amputée d’une jambe à boucler la distance reine de l’UTMB, après avoir dû abandonner après 100 km l’an passé. De même, une autre athlète amputée d’une jambe à la suite d’un cancer, (48 ans), engagée sur la MCC (40 km et 2.350 m de D +) ce lundi dans les Alpes, a de son côté enchaîné 104 marathons en 104 jours consécutifs.
Cela constitue un record mondial, valides et handis confondus. Parmi la Team Adaptive que Boris Ghirardi manage, on trouve aussi notamment les Français Guillaume Pick (44 ans) et Nicolas Ronget (30 ans), respectivement sourd et malvoyant de naissance, ainsi que Franck Derrien (39 ans), autiste Asperger. « Les accidents de la vie sont là pour donner de l’espoir, ils ne sont pas une fin en soir, résume Boris Ghirardi. Personnellement, Amy m’avait inspiré dans ma chambre d’hôpital en devenant la première amputée à terminer le Marathon des Sables. Tous ces pionniers inspirent aussi les valides. »
A commencer par , deuxième de l’édition 2022 de l’UTMB après un final épique avec et parrain de cette équipe inédite et symbolique en cette semaine de lancement des à Paris. Encore parmi les favoris à la victoire finale à partir de vendredi soir, celui dont le frère cadet Luca est un athlète amputé à la suite d’un accident est très sensible à la cause du handicap.
« C’est génial de pouvoir courir avec tout le monde »
Boris Ghirardi loue « l’esprit trail », à la fois « humain et solidaire » pour justifier les avancées des derniers mois en faveur de ces athlètes en situation de handicap, entre une équipe de huit amputés sur la dernière Maxi-Race, et donc cette nouvelle politique de l’UTMB Group pour améliorer l’accessibilité et le confort des coureurs handisport sur l’événement phare de trail-running autour du Mont-Blanc. Si chacun des 12 athlètes bénéficie cet été d’un dossard supplémentaire pour un accompagnant, « certains estiment ne pas en avoir besoin ». De même, n’imaginez pas des classements à part pour ces para-athlètes, ou même des barrières horaires plus souples les concernant.
« Ce n’est pas une demande faite par les coureurs du Team Adaptive, rapporte Nicolas Lagrange. Ils ont envie de faire les choses comme tout le monde et donc de ne pas avoir des règles adaptées. » Hors de question donc de pouvoir dépasser les comme le confirme Boris Ghirardi. « On veut participer à un jeu et il est important de respecter les mêmes règles que tout le monde. A terme, je pense que des coureurs handicapés pourront même intégrer le Top 100 de l’UTMB », ambitionne l’ultra-traileur, qui tient plus que tout à « casser les préjugés », à l’occasion de cette 21e édition de l’UTMB.
« On m’a personnellement fermé des portes après mon accident, mais j’ai par exemple pu pratiquer l’escalade ou les chiens de traîneau sans difficulté. C’est compliqué de se projeter dans une activité quand on ne voit pas d’autres gens qui nous ressemblent la pratiquer. Dans ce cas-là, ça ne va pas rentrer dans notre radar des possibilités. Là, je trouve ça génial de pouvoir courir avec tout le monde et d’être présent sur les plus beaux trails de France et d’Europe. »
« Ne m’invitez pas à la fête, invitez-moi à danser »
Mais au fait, les organisateurs de l’UTMB ne flippent-ils pas du tout face à ces quelques traileurs amputés, sourds ou malvoyants lancés dans pareille aventure pouvant dépasser les 40 heures d’efforts au milieu de sentiers très exigeants ? « On a affaire à des gens très responsables, ils savent ce qu’ils peuvent faire et ils ne se lancent pas sur un du jour au lendemain, note Nicolas Lagrange. Il y a des étapes, et on se rend compte qu’on peut faire énormément de choses avec une prothèse. »
Boris Ghirardi complète : « C’est peut-être un peu plus risqué car chez nous, la fatigue nerveuse arrive avant la fatigue physique. Et puis une lame est surtout faite pour aller tout droit, et non pour se faufiler entre les cailloux. Notre lucidité est primordiale et il n’y aura pas de casse-cou sur cette course. » Comme le manager du Team Adaptive le précise, les athlètes avec une lame ont en moyenne « besoin de retirer toutes les deux heures leur prothèse afin de la faire sécher ».
Se voulant désormais le plus inclusif possible, l’UTMB essaie de « donner envie » aux personnes en situation de handicap de participer. Et forcément, le regard va évoluer à vitesse folle, comme l’indique Boris Ghirardi : « Quand tu doubles un coureur valide, soit il te félicite, soit tu sens qu’il est piqué au vif et qu’il accélère son rythme. Mais quoi qu’il arrive, on lui aura changé son préjugé. Là, on a tous hâte de vivre ce départ à Chamonix sur au milieu de tous. Car pour l’inclusion, je dis souvent : ne m’invitez pas à la fête, invitez-moi à danser ». Et cette danse en montagne s’annonce très longue.