Ligue 1 : Pourquoi Telegram est un gros caillou dans la chaussure de la LFP ?SportuneBébés et MamansMinutes Maison
La facilité d’accès est frappante. Il suffit de fouiller banalement sur les réseaux sociaux, et en deux clics le tour est joué : un lien de diffusion vous renvoie vers un canal parallèle pour regarder le match de L1 de votre choix dans un relatif anonymat et surtout sans débourser le moindre centime. La manœuvre, qui se déroule sur l’application Telegram, est évidemment illégale. Mais elle semble devenue, ces derniers jours, un réflexe presque ordinaire pour bon nombre de suiveurs du championnat de France, révoltés par avoisinant les 40 euros mensuels.
Le constat est saisissant : pour l’ouverture de la saison, le 16 août dernier, au moins 200.000 personnes s’étaient ainsi tournées vers la messagerie Telegram pour y regarder le match opposant , d'après Le Parisien. Une ruée pas anodine et indicative de la montée en flèche de l’application d’origine russe dans l’écosystème du streaming sportif illégal.
« La retransmission des matchs sur les boucles Telegram n’est pas un phénomène nouveau, rappelle Mohammed Boumediane, PDG de l’entreprise Ziwit, un des leaders dans le marché de la cyberdéfense. On l’a vu émerger lors de la . Mais c’est devenu de plus en plus important au fil des années surtout aujourd’hui avec le contexte de hausse de prix d’abonnements. Ça a clairement fait exploser la prolifération des liens de diffusions frauduleuses. »
« Techniquement, c’est très facile de créer des liens »
Doté d’un système de et accessibles gratuitement depuis un smartphone, une tablette ou un ordinateur, avec comme seule condition de lier un numéro de téléphone, Telegram, initialement connu à ses débuts en 2014 comme , présente le prototype de l’appli idéal pour les pirates. « Techniquement, c’est très facile d’y créer des liens pour streamer des événements sportifs en direct, pointe Hervé Lemaire, patron de LeakID, une société spécialisée dans la protection des ayants droit comme la Premier League ou la Serie A italienne. Pour les utilisateurs, c’est encore plus facile, parce qu’il suffit de se connecter et cliquer pour suivre le match. C’est terrible pour toute l’industrie du sport. »
Le manque à gagner est considérable « pour nos diffuseurs et pour l’ensemble de l’écosystème, y compris la LFP et les clubs », s’alarme la Ligue de football professionnelle (LFP), qui indique « avoir renforcé son dispositif de lutte » face à cet afflux de liens illégaux « via un accroissement du nombre de dépôt de plaintes ». La stratégie s’inscrit dans la continuité du dispositif de lutte contre le piratage sportif, enclenché en 2022 par l’ARCOM, et qui a permis d’obtenir des injonctions judiciaires ayant conduit au blocage systématique de milliers de sites streaming auprès des fournisseurs d’accès à Internet (FAI).
Laxisme dans la modération
Depuis le 2 août, une décision impose également aux FAI d’empêcher l’accès aux services IPTV diffusant de façon détournée les rencontres de Ligue 1 et de Ligue 2 cette saison. Mais la bataille est toutefois loin d’être gagnée. Surtout sur Telegram, qui attire des dizaines de milliers de supporters désireux de regarder leur club sans souscrire à un abonnement DAZN. Le réseau social est épinglé par plusieurs acteurs pour un laxisme dans la modération.
« « Les flux et liens frauduleux sont détectés par nos algorithmes puis notifiés à Telegram. Mais le problème est qu’ils ne sont pas du tout réactifs, contrairement aux autres plateformes comme X ou Facebook. Ils mettent beaucoup de temps à couper le signal, parfois deux jours après, ce qui ne sert absolument à rien, car le match dure 90 minutes » »
« Toutes les diffusions illicites sont notifiées par notre prestataire antipiratage Athletia. Le problème à cet égard est que les délais de réponse de Telegram sont fluctuants (jusqu’à 24 heures) et s’avèrent incompatibles avec un retrait en temps utile s’agissant de contenus diffusés en direct », confirme la LFP.
Face à la situation, Xavier Spender, secrétaire général de l’APPS (Association pour la protection des programmes sportifs) propose d’investir davantage le terrain judiciaire pour préserver les droits des diffuseurs. « On a des systèmes de blocages, qui ont montré leur efficacité ces deux dernières années avec plus de 3.000 sites bloqués, grâce à l’Arcom. Aujourd’hui, avec l’application du DSA (ndrl le règlement européen sur les services numériques), on doit obliger Telegram à se plier à la réglementation. »
Des énormes gains financiers
Une approche coercitive qui ne convainc tout de même pas Mohammed Boumediane. Pour lui « le légal ne peut pas résoudre un problème technologique ». « C’est contre productif et on ne fera que déplacer le problème, affirme-t-il. Vous allez attaquer qui ? C’est très compliqué de remonter à toutes les têtes des réseaux. Déjà sur Telegram, vous fermez un groupe, il y a aussitôt d’autres qui sont créés par les pirates sur lesquels ils redirigent toutes leurs audiences. C’est comme le chat et la souris, sauf qu’aujourd’hui, la souris est devenue très puissante, car il ne faut pas oublier qu’il y a des énormes gains financiers derrière ces pratiques. »
« « La solution réside dans les technologies simulant des bots et des comportements humains qui permettent à la fois de détecter puis arrêter les flux depuis le serveur d’origine qui irrigue tout les autres, explique le spécialiste. C’est ce qui a marché pour la Coupe du monde au Qatar. » »
Pour Hervé Lemaire, la piste de la modération demeure bien une alternative pour stopper la prolifération des canaux illicites sur la messagerie cryptée. « Il suffirait aujourd’hui pour Telegram de mettre en place une équipe de modérateur disponible 24h/24h pour faire sauter les liens dans les 5-10 minutes après nos signalements, et le problème est réglé ou alors ils nous donnent un accès pour faire le travail. On le fait déjà très bien sur les autres plateformes », lance-t-il.
Arrêté à la surprise générale samedi dernier à Paris avant entre autres pour « complicité d’administration d’une plate-forme en ligne pour permettre une transaction illicite, en bande organisée » ou « refus de communiquer, sur demande des autorités habilitées, les informations […] nécessaires pour la réalisation […] des interceptions autorisées par la loi », Pavel Durov, le PDG du groupe, eu d’autres chats à fouetter ces derniers jours.
En attendant que le dossier « foot français » arrive au haut de la pile de ses urgences, ce qui serait peut-être une façon d’envoyer un signal positif à la justice à peu de frais, les nombreux fans de Ligue 1 devraient continuer allègrement à regarder leurs équipes favorites sur Telegram, même si un tel acte les expose sur le papier à 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende pour recel de contrefaçon.