Jeux paralympiques 2024 : pourquoi Alexandre Léauté a survolé sa course « à la régulière » contre un rival unijambisteSportuneBébés et MamansMinutes Maison
De notre envoyé spécial au bout, tout au bout de la ligne C du RER,
Ce n’est qu’une première étape dans sa quête de razzia, mais bon sang qu’elle fait du bien. Ultra favori de l’épreuve de poursuite (catégorie C2), Alexandre Léauté contre le Belge Ewoud Vromant, vendredi, du côté du Vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, ou de Loudéac, allez savoir. Car le petit gars des côtes d’Armor n’était pas venu seul, c’est le moins que l’on puisse. C’est une marée humaine de Bretons et bretonnes qui a colonisé un virage entier du vélodrome et mis le feu toute la journée durant.
Vêtus d’un tee-shirt à l’effigie du gars du pays - ou d’une caricature, plutôt - dessinée par un artiste local au talent certain, ils étaient des centaines à pousser Alexandre Léauté à chacun de ses passages, dans la touffeur d’une salle rendue moite par le trop-plein d’émotions. Ce n’est pas anodin, et encore moins démago, si le multiple champion du monde de poursuite a tenu à partager sa médaille d’or avec lui. « Si le public n’avait pas été là, jusqu’au bout, a-t-il volontiers concédé. Déjà quand je suis entré dans le Vélodrome et que j’ai entendu le bruit, j’avais le cœur qui battait à 180, un truc de fou. Je les ai sentis, je n’avais jamais fait de vélo avec autant de bruit autour, c’est une nouvelle découverte, je suis trop content. »
Une finale moins aboutie mais, qu’importe le flacon…
Il est vrai qu’on a senti le garçon un brin moins à son aise que lors des qualifs, deux heures plus tôt, où il a pulvérisé le record du monde, SON record du monde (3’25’’888 vs 3’24’’300 vendredi) et éparpillé la concurrence sur tous les murs du Vélodrome. En finale, Léauté a fait la connaissance d’une certaine pression, sensation qui lui était jusque-là parfaitement étrangère. « Je n’ai pas pris beaucoup de plaisir sur le vélo, je ne vais pas vous mentir, nous a-t-il avoué en zone mixte, posé sur une chaise pliante, à la fraîche. J’étais dans la douleur extrême. Les sensations étaient bizarres, je pense que c’est le stress. Je ne suis pas un gars stressé d’habitude, donc ça a été compliqué à gérer. Mais c’est bien, j’apprends de nouvelles choses. »
Nous aussi, on a appris des choses, si vous voulez tout savoir. Comme par exemple que les coureurs engagés dans la catégorie C2 n’ont pas tous la même physionomie. En effet, la plupart des concurrents du Français n’avaient qu’une jambe pour pousser sur la pédale, alors que Alexandre Léauté, lui, en a deux. Enfin, deux, oui, mais une seule de valide car celui-ci , soit une atteinte plus ou moins sévère de la motricité du côté droit de son corps ce qui engendre plusieurs déficiences (spasticité, problèmes pour tendre le bras ou la jambe, déformation du pied, perte de force musculaire et une insensibilité totale dans mes membres inférieurs et supérieurs).
« Vu de l’extérieur, sur son vélo, on pourrait penser qu’il est valide »
Il nous a semblé important d’aborder cet aspect de la course dans cet article car le grand public, et nous avec, peut avoir du mal à saisir un tel état de fait. Avec, en sous-marin, la question de l’équité entre les paracyclistes et donc, de fait, celle de la légitimité de sa victoire. Pour bien comprendre pourquoi des athlètes amputés (ou privés dès la naissance) d’une jambe peuvent concourir avec d’autres, bipèdes, et surtout pourquoi cela ne favorise pas le double champion olympique (Tokyo 2021 et Paris 2024) de poursuite, on a posé la question à Laurent Thirionet, le manager de l’équipe de France de paracyclisme. Vous allez voir, ça coule de source. Ou presque.
« Il y a des comités de classification qui sont organisés avant chaque grosse compétition pour tous les nouveaux participants. Et dans ces comités, il y a un technicien, j’en ai déjà fait partie il y a quelques années, il y a des neurologues, des kinés, des médecins rééducateurs, et tous vous auscultent sous toutes les coutures”, pose-t-il en préambule. Certes Alexandre a ses deux jambes, mais il en a une qui est abîmée. Quand je dis abîmée, je veux dire qu’il a de la spasticité, c’est une hémiplégie, et ça lui compliqué la vie pour la plier et l’étendre, elle résiste.
« C’est handicapant car quand vous poussez avec la jambe valide, de l’autre côté vous avez une jambe qui non seulement ne sert pas à grand-chose, mais qui en plus résiste. Les médecins ont donc estimé que cette déficience et cette spasticité étaient équivalentes à l’handicap d’un unijambiste qui pédale. Mais c’est vrai que vu de l’extérieur, quand on le voit sur son vélo, on pourrait penser qu’il est valide. Mais il n’est pas valide. Et son handicap est très pénalisant quand vous faites du vélo car quand vous appuyez d’un côté mais que ça freine de l’autre, c’est un peu emmerdant ».
Avoir deux jambes ne suffit pas à l’emporter, on en veut pour preuve la défaite du Britannique Matthew Robertson en qualifications (il terminera tout de même avec la médaille de bronze). On a aussi découvert en taillant le bout de gras avec Thirionet - qui, au passage, est le sosie parfait de Michel Houellbecq, il fallait que ce soit dit - que ce débat a pu exister par le passé dans le milieu du paracyclisme, mais que c’est aujourd’hui de l’histoire ancienne. « Il peut encore arriver que les petits jeunes qui arrivent au haut niveau se plaignent de la manière dont sont bâties les catégories. Mais ils se trompent, c’est juste qu’il te faut deux ou trois ans à travailler un peu plus avant de se mettre au niveau des autres. »
Le travail, c’est justement (et uniquement) ce qui explique la supériorité d’Alexandre Léauté sur ses adversaires. Laurent Thirionet : « Il a beaucoup bataillé avec les mecs qui n’ont qu’une jambe et il n’a pas toujours gagné. Il est le plus fort parce qu’il a travaillé comme un acharné, il s’est métamorphosé. A Tokyo, c’était un gamin. Aujourd’hui, c’est un athlète extraordinaire avec une musculature hors norme. Il travaille, il ne fait que ça, il roule tous les jours, il fait de la muscu plusieurs fois par semaine. S’il survole la catégorie, c’est surtout parce qu’il travaille. Et peut-être plus que les autres. »
Un acharnement que l’on a bien perçu vendredi, aussitôt la cérémonie de remise des médailles terminées. Eternel insatisfait (« J’ai battu mon record du monde mais je pensais quand même aller plus vite, c’est une petite déception », dira-t-il en zone mixte sans trembler du guidon), le Costarmoricain ne pensait déjà plus à profiter du moment présent mais était tout entier tourné vers ses prochains objectifs. « Je suis déjà focus sur demain (samedi), j’essaye de profiter mais ce n’est pas facile car je sais que je peux encore faire quelque chose de grand. » Entre nous ? Quatre médailles d’or, comme qui vous savez.