Jeux Paralympiques 2024 : « On est un véritable couple »… raconte Jeffrey Lami guide de Timothée Adolphe sur la pisteSportuneBébés et MamansMinutes Maison
Ils font partie intégrante des . Dans plusieurs épreuves et selon les , les guides s’affichent aux côtés des athlètes handisports. Omniprésents sur la piste et à l’écran, ces guides œuvrent pourtant dans l’ombre des athlètes.
Jeffrey Lami est l’un d’eux. ce dimanche sur le 400 m T11 (cécité totale), il a vu ses Jeux s’arrêter ce dimanche. Mais le guide reste au village olympique en soutien de « son athlète » qui vise ce jeudi la médaille d’or sur le 100 m T11 avec un autre guide. Pour 20 Minutes, il revient sur son rôle, son parcours et sa joie de participer à ces Jeux paralympiques.
Vous avez remporté, ce dimanche, une médaille d’argent sur le 400 m aux côtés de Timothée Adolphe. Peut-on dire que votre objectif est atteint ?
Oui, totalement. Nous visions une médaille et nous l’avons. Timothée était déçu à l’arrivée parce qu’on avait mis plein de choses en place pour ramener l’or, et ce n’est pas le cas. C’est un peu rageant parce qu’on était les meilleurs sur les 350 premiers mètres, mais il n’y avait plus assez d’énergie sur les 50 derniers. J’ai rappelé à Timothée qu’en finale, tout le monde a soif de victoire et que d’autres avaient plus soif que nous. Mais le challenge est réussi : Nous avons la médaille.
Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes devenu guide pour Timothée Adolphe ? Existe-t-il un parcours spécifique ?
Je ne crois pas qu’il y ait de processus particulier pour devenir guide. Pas à ma connaissance. Moi ça m’est tombé dessus. En 2015, quand Timothée m’a contacté, il avait eu mon numéro par un ancien guide. À l’époque, j’étais athlète valide en individuel et je faisais partie de l’équipe de France espoirs (Jeffrey Lami a été sur 60 m, 100 m et 200 m dans les catégories de jeunes). C’était une période pendant laquelle je me blessais beaucoup et je n’avais pas atteint mes objectifs individuels.
Timothée cherchait alors un guide jeune pour lancer une aventure potentiellement sur le long terme. J’avais 21 ans et je ne me sentais pas légitime pour prendre cette responsabilité. Mais il m’a beaucoup rassuré, il m’a expliqué que je ne serais pas son seul guide et qu’on pouvait essayer sans forcément s’engager immédiatement.
Pourquoi est-il venu vous chercher, vous, et pas quelqu’un de plus expérimenté par exemple ?
Avant, les guides étaient souvent des athlètes qui prenaient leur retraite. Mais en quelques années, le niveau mondial en a explosé, et Timothée a jugé que cela ne suffisait plus pour les performances qu’il visait. Il a donc cherché un athlète qui faisait partie du top 10 français à l’époque, et c’était mon cas.
Je me suis dit « pourquoi pas ? ». Ma seule condition était de pouvoir continuer en individuel, ce que Timothée a accepté. Le premier grand championnat que nous courrons (en 2017), on passe très près de devenir champions du monde, disqualifiés parce que Timothée chute juste devant la ligne. Il était extrêmement déçu. Mais moi, j’avais apprécié l’expérience, alors j’ai dit « On continue ». Ensuite on a fait ça pendant un an, puis deux, puis trois… Et on s’est tellement liés d’amitié que ça fait maintenant huit ans que nous courrons ensemble.
Vous avez même arrêté votre carrière en individuel pour vous consacrer à ce rôle…
Au début, j’ai essayé de gérer les deux en même temps. Mais cela me demandait trop d’efforts et je me suis blessé plusieurs fois. Au point de faire des contre-performances des deux côtés. Donc, à l’approche des (en 2021), je me suis posé la question : « Tu préfères entrer dans le relais 4x400 (des valides) et espérer “peut-être” te qualifier pour une finale ? Ou aller chercher une médaille, encore plus valorisante, avec un ami ? » Parce que c’est un projet qui dépasse le sportif, on est un véritable couple aujourd’hui, on passe notre temps ensemble, c’est quelque chose de plus fort que la simple course.
Justement, vous parlez de couple. Comment cela fonctionne-t-il concrètement sur la piste ?
Je dois le guider et le tirer vers le haut. À l’entraînement, avec le coach, nous analysons et isolons les défauts de notre course. Ensuite, avec Timothée, on va attribuer des mots à chaque petit problème, chaque chose à améliorer. « Coudes », « bras », « épaules », « genou », « rythme », « léger »… Nous nous créons un véritable petit carnet pour communiquer pendant la course. De l’extérieur, ça peut paraître incompréhensible, mais ces mots nous permettent de communiquer précisément sans gaspiller trop de souffle. Parce que le 400 m, ça reste du sprint, on ne peut pas s’essouffler à parler.
Et en plus de cette capacité à communiquer, quelles sont les qualités que doit avoir un guide ?
Le niveau de performance d’abord. Il faut être plus fort que l’athlète guidé. Pour le faire progresser toujours, le tirer vers le haut, même les jours où on est moins bien. Pour cela, je continue à m’entraîner aussi en individuel avec mon coach. Comme si je concourrais seul pour garder le même niveau de performance que celui que Timothée est venu chercher quand il m’a contacté. Pour cela, j’ai la chance de travailler à la comme (agent de station sur la ligne 5). L’entreprise me permet d’adapter mon emploi du temps selon mon programme d’entraînement et de compétition.
À côté de cela, il faut avoir beaucoup d’empathie et être à l’écoute, en permanence de l’athlète. Parce que c’est lui qui concourt. Pour cela, il faut aussi savoir se mettre en retrait aussi.
Justement, qu’est-ce que cela fait pour un athlète de haut niveau comme vous d’être « dans l’ombre » d’un autre athlète ?
C’est vrai que l’athlétisme, par essence, est un sport individualiste. On s’entraîne et on se bat pour soi. Mais c’est mon choix. Je cours au service de Timothée, j’accepte de ne pas mettre la lumière sur moi. Parfois, elle rejaillit sur nous deux, alors tant mieux. Mais je sais que si toute la lumière est sur lui, c’est aussi mon travail qui est récompensé, alors ça me va très bien.
Et en matière de récompense, médailles, primes… Comment cela se passe-t-il ?
Au départ, les guides ne montaient même pas sur la boîte. Ensuite, ils ont eu les primes mais pas de médailles. Aujourd’hui, nous sommes traités de la même manière à tous les niveaux, que ce soit par la fédération, le ministère, les listes de haut niveau, etc.
Un petit mot sur les Jeux paralympiques de Paris 2024, comment les avez-vous trouvés ?
C’est énorme. Avant la compétition, on aurait signé pour un stade à moitié plein. Le soir de la finale, il y avait 70.000 personnes dans le stade. Il y avait tout le monde, les amis, les partenaires, le grand public… Les gens criaient nos noms. L’engouement est extraordinaire, même dans mes rêves, je n’aurais pas imaginé un truc comme ça. On va prendre un peu de repos et on va regarder vers maintenant.